Au nom de l’idéologie libérale

Elle se fait de plus en plus persistante venant même de la voix du ministre de l’économie, la Guinée ne peut plus continuer à subventionner les prix du carburant car cela a coûté 80 milliards de GNF cette année. Cette nouvelle ne peut qu’inquiéter en ce début d’année 2008 dans un pays ou le pouvoir d’achat est en régression permanente du fait d’une inflation encore élevée, conséquence d’une gestion laxiste des instruments de la politique économique. C’est un secret de polichinelle de dire que la Guinée est à la recherche de multiples équilibres à la fois économique, social et politique car, elles sont encore très fraîches dans la mémoire collective les images des évènements de janvier-février 2007. La situation est tellement fragile, qu’en l’espace de quelques mois, on a frôlé à maintes reprises la rupture du consensus très précaire établi au sortir de la crise du début de l’année 2007. Revenant sur la question du carburant, rappelons simplement que la situation précaire des Guinéens en dépit de potentialités énormes été le principal élément déclencheur de cette crise du fait de l’augmentation du coût de la vie conjuguée à une quasi absence de services sociaux de base (eau, électricité…). Sur le plan économique, après de maintes négociations, la Guinée est arrivée a conclure un programme cadre avec le Fonds Monétaire International (FMI), un appui budgétaire conditionné par la mise en place de réformes conjoncturelles et structurelles pour redynamiser l’activité économique.

L’une des mesures très controversées à mon humble avis qui aujourd’hui retient l’attention reste la possible fin des subventions publiques au prix du carburant, subventions qui garantissaient aux Guinéens l’accès à cette denrée fondamentale déjà à un prix très élevé pour la moyenne de la population. Personne objectivement ne peut nier le fait que les autorités soient confrontées à de multiples pressions, elles devront impérativement faire des choix, telle est l’essence de l’action politique, arbitrages le plus souvent difficiles et/ou délicats dans un pays où tout peut encore relever de l’urgence. Mais il faudra quant même les faire. Ces choix et arbitrages sont indispensables au redressement économique dont nous avons tant besoin dans un contexte d’ouverture des économies. Autre chose importante à mon avis en matière de choix politique, l’analyse de l’impact de la décision devrait plutôt l’emporter sur les considérations idéologiques mais hélas la politique est ce qu’elle est. Il est clair que le FMI n’est pas une organisation penchante pour les mécanismes de subventions publiques et ce indépendamment des objectifs poursuivis dans une économie de marché, chose qui empêcherait la manifestation du vrai prix. Cette considération théorique est loin de faire consensus actuellement tant les choses s’avèrent compliquées dans la pratique parce que tout simplement le prix est à la fois un élément d’estimation de la valeur des biens mais aussi un instrument au service de la politique économique et sociale. Ces deux considérations ne peuvent être aujourd’hui objectivement dissociées.

Le cas du prix du carburant en Guinée est intimement lié aux interventions du FMI ces dernières années, pour cette organisation, les subventions publiques constituent une distorsion au marché d’où la nécessité d’en faire de moins en moins recours et ce, quelles que soient les conséquences possibles notamment sociales, c’est la moindre de ses préoccupations, il n’ y a qu’à voir les résultats de ses interventions dans les Pays en Développement et ce, depuis les années 80. « L’essence est passée de 1 500 à 2 500 francs le litre en 2004, puis de 2 500 à 3 800 francs le litre en 2005, et en fin de 3 800 5 500 francs le litre en 2006 entre autres suites aux pressions du FMI sur le gouvernement pour qu’il arrête de subventionner le prix de l’essence. Les coûts de transport ont été évidemment affectés par cette augmentation, de même que les prix des biens transportés de la capitale vers l’intérieur et vice versa. Entre 2004 et 2007, le sac de 50 kg de riz est passé de 35 000 francs à 120 000 en moyenne. Comme les salaires n’ont pas augmenté durant cette période, ceux qui vivaient directement ou indirectement d’un emploi salarié on vu leur pouvoir d’achat divisé par quatre en trois ans ». [Mike MacGovern (2007), « Janvier 2007- Sékou Touré est mort » Politique Africaine, n° 107, p.144]. Il est clair que la décision de supprimer les subventions sur les prix du carburant relève plutôt des pressions du FMI et de l’idéologie libérale pour peu que l’on connaisse cette organisation et ses principes d’intervention. Qu’ils ont été très nombreux ses échecs dans le redressement des économies depuis une vingtaine d’années, même si cela n’exclut en rien le besoin de reformes profondes de la gouvernance politique et économique de la Guinée mais cette fois moins enclin à des considérations idéologiques.

Aujourd’hui, nul doute que le FMI est devenu le « référent » des institutions internationales de développement dans les PVD, signer un document cadre avec cette organisation ouvre la voie à de nombreuses interventions financières, raison pour laquelle la Guinée se félicite encore de l’adoption de sa stratégie par son Conseil d’Administration en décembre, chose compréhensible, même si l’on ne partage pas tout du mécanisme de ce maillage institutionnel dans les interventions des partenaires bi et multilatéraux de développement. Certes il est plus que nécessaire pour la Guinée de mener des réformes pour galvaniser les énergies et mettre en valeur au service des populations ses immenses ressources, mais de là à accepter toute réforme conduirait à la catastrophe. Le cas du carburant en est un exemple frappant, si le montant des subventions publiques est clairement identifié, il en est de loin des coûts de l’abandon de cette mesure. Cette mesure de supprimer ces subventions est elle économiquement, socialement et politiquement justifiée ? Bref, est-il aujourd’hui opportun d’y renoncer? Ma réponse est non pour la simple raison que la dépense publique est un instrument de la politique économique. Elle permet d’atteindre des objectifs économiques et sociaux et dans ce cas précis du carburant, ceci est plus encore vrai et d’actualité. Il faut juste voir le fonctionnement des pays développés où les plus en avance sur le développement humain sont ceux où ceux où les prélèvements obligatoires sont importants, où il y a des mécanismes de redistribution permettant d’assurer une certaine cohésion sociale et territoriale.

Financièrement, subventionner le carburant coûte au budget national, mais les coûts économiques seraient beaucoup plus importants en l’annulant avec une augmentation indéniable des coûts de production. On peut notamment penser à l’industrie et au transport, une pression supplémentaire à la baisse du pouvoir d’achat sans oublier la contraction de la demande interne. Socialement et politiquement cette mesure serait difficile à faire passer car le Guinéen verra indéniablement un retour à la case départ, non pas un chemin vers une amélioration de ses conditions de vie mais leur de dégradation. Déjà qu’il a l’impression que tout augmente sur les marchés et il a des difficultés à faire face au panier de la ménagère…voir le carburant augmenter serait d’une incompréhension totale. Certes les marges de manœuvre du gouvernement sont faibles par rapport notamment au FMI et tout peut relever de l’urgence dans ce pays, deux solutions existent, faire des économies sur d’autres postes budgétaires ou tout simplement étaler sur plusieurs postes et dans le temps le coût budgétaire de ces subventions. On le sait, les experts du FMI seront moins réceptifs à ces volontés mais il va bien falloir les convaincre car la survie de l’équilibre si fragile actuel peut en dépendre. Juste pour rappeler qu’il n’ y a pas que l’efficacité économique comme critère de choix politique, celle sociale est aussi importante dans des pays comme le nôtre. La prise en compte de cette dimension sociale dans nos politiques publiques est essentielle car l’économie doit être avant tout mise au service du social et de l’environnemental si l’on veut aller vers un développement équilibré et durable.

Une autre conséquence non mesurable mais réelle d’une possible augmentation des prix du carburant relève de l’effet psychologique d’une telle décision sur la population. Guinea is back, c’est Cheik Yérim Seck qui le dit dans J.A. n°2450-2451 p. 89 et quand on se rappelle de ses écrits quelques mois au paravent, on ne peut parler de complaisance. Le pays après tant de léthargie est entrain de revenir, l’espoir renaît même si personne ne doute qu’il ne tient qu’à un bout de fil, des Guinéens recommencent à croire que demain sera meilleur et différent du passé même si l’on ne peut que déplorer la résistance de l’ancienne structure encore très prégnante et, pour peu que l’on connaisse l’économie politique, cela n’est pas étonnant. Ce qui est aujourd’hui le plus important c’est d’arriver à capitaliser les acquis pour empêcher que l’ancienne structure ne perdure et produisant du coup les mêmes effets que par le passé et vers ce chemin l’engament de chacun de nous sera sans aucun doute déterminant. Avec simplement l’augmentation des prix du carburant, les anticipations positives sur l’avenir de la Guinée de nombre de nos concitoyens peuvent s’envoler en éclat et ainsi conforter tous ceux qui pensent à tord ou à raison que rien n’a changé en Guinée, alors que même s’ils sont lents, des progrès se font au quotidien dont nous ne pourront certainement pas aujourd’hui juger de leur véritable portée tant les attentes sont énormes de la part des populations dans un pays comme rappeler plus haut tout pourrait relever de l’urgence tant nous sommes encore entrain de tâtonner à la mise en place des conditions de pré développement ( paix, sécurité, cohésion sociale, infrastructures physiques et institutionnelles…).

La décision politique devrait s’efforcer à tenir compte de cet aspect de la vie des individus, la psychologie est un élément très fondamental de l’économie donc de la politique, il n’ y a qu’à voir le fonctionnement des marchés financiers, l’importance de la communication politique… et si le désordre politico-économique a des coûts qui peuvent être énormes, l’ordre aussi en exige. La paix sociale, déterminant important de l’exercice des activités économique a aussi des coûts qu’il faudrait bien à un moment donné supporter et non se laisser emporter par la théorie de l’efficacité des marché et son corollaire de juste prix. Le libéralisme économique a certes des bases communes pour l’ensemble des pays, mais il est important d’avoir une application différenciée dans le temps et l’espace pour mieux tenir compte des réalités politiques et socioéconomiques. L’un des échecs patents des stratégies et politiques de développement, c’est d’avoir cru à l’efficacité des modèles théoriques pré-établis en tout lieu et en tout temps et le FMI singulièrement devrait plutôt tenir compte de cet aspect dans sa quête d’une certaine légitimité aujourd’hui ou tout simplement revenir à sa mission d’origine. Voilà quelques uns des arguments certes subjectifs qui me poussent à croire à l’inopportunité d’augmenter les prix du carburant en Guinée et même si je reconnais volontiers que la conjoncture pétrolière ne soit pas un élément favorable avec un baril qui a franchi le seuil des 100$ à New York, le 02 janvier, sans oublier la faiblesse des marges de manœuvre des pouvoirs publics Guinéens.

Risquer ce pari mettrait en péril nombre d’efforts consentis depuis quelques mois dans le redressement économique et le retour progressif de la Guinée dans le concert des nations. J’ai dirai juste en ce début d’année 2008, « …Oh surtout pas d’augmentation…trouver les marges ailleurs même ce ne sera pas si simple ». Aujourd’hui, la Guinée après une année très éprouvante a surtout besoin de commencer 2008 bien, de croire une fois de plus que le mieux est possible à réaliser pour ses habitants mais cela ne passera qu’en maintenant cet espoir aussi peu soit il qui a vu jour ces derniers mois pour fédérer toutes nos énergies autour de l’idéal commun de changement et de progrès pour tous. En ce mois de janvier, les Guinéens en premier se souviendront encore des événements de 2007 et en ce même mois de janvier il y aura aussi la CAN 2008 où est engagé notre Onze National. Même si aucune échelle de comparaison n’est possible entre ces deux évènements, nous souhaitons surtout bonne chance à cette équipe dans sa quête de victoire et un bon parcours dans cette compétition continentale permettra à coup sûr de nous rassembler davantage, de recréer l’espoir pour des lendemains meilleurs car le développement d’un pays dépend avant tout de la foi qu’ont ses citoyens en ses atouts et contraintes. Pour terminer, à tous les lecteurs, Guinéens d’ici et d’ailleurs, je vous souhaite une bonne et heureuse année 2008, soyons imaginatifs et audacieux, croyons en nos capacités intellectuelles et humaines et agissons ensemble pour relever les défis qui nous interpellent.

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