Pour un ancrage dans l’espace de nos politiques publiques

Longtemps la question de l’efficacité et de l’efficience des politiques publiques a été au cœur de préoccupations des gouvernants et des spécialistes mais aussi de citoyens manifestant un certain intérêt pour la chose publique. Les querelles ne manquent pas entre théoriciens sur le rôle et la place de l’Etat dans les systèmes économiques et d’ailleurs l’essentiel du clivage entre les grands courants de la pensée économique se situe à ce niveau, même si aujourd’hui avec la généralisation du marché suite à l’effondrement du bloc communiste les frontières sont de plus en plus brouillées. Longtemps aussi la politique publique a été du seul ressort de l’Etat central qui en vertu de ses prérogatives définissait et mettait en œuvre une politique dans une logique descendante. C’est le terreau d’action des politiques centralisées de développement ancrées autour de la planification et/ou de l’orientation permettant à l’Etat de définir et de mettre en œuvre une stratégie répondant à ses choix et/ou au contexte. Ce modèle de gestion socioéconomique a un grand avantage qui est celui de définir de grandes orientations mais avec une insuffisance majeure qui est celle de la non prise en compte ou du moins de façon insuffisante des spécificités de l’arrière pays. Aujourd’hui, nul doute que cette façon de concevoir l’action publique a produit ses limites et l’adoption de la décentralisation comme cadre de conduite des politiques publiques est considérée comme réponse à ses lacunes. De part ses objectifs, la décentralisation devrait conduire à une impulsion des dynamiques locales en matière de développement et à la promotion de la participation citoyenne dans les choix collectifs, autrement dit la favoriser l’émergence de d’une démocratie.

Nous ne reviendrons pas ici sur l’analyse des contextes si particuliers pour chaque économie de l’avènement de ces processus mais insisterons davantage sur la démarche et son contenu. La décentralisation est avant tout un acte politique fort, l’engagement dans une démarche d’un pouvoir politique donné pour qualifier son action et/ ou alléger ses charges en valorisant les différents potentiels du pays dont il à la charge de conduire. Imposés ou pas, toujours est il que ces processus ont été imaginés comme une réponse aux limites de la centralisation du pouvoir politique dans différents pays et le continent africain à partir des années 90 n’a pas fait exception à cette évolution redéfinissant les rapports à l’intérieur des pays mais aussi entre pays notamment du Nord et du Sud. Approfondir ces processus conduit à une déclinaison de plus en plus fine de l’action publique sur des espaces donnés et à l’implication de leurs populations à la définition et au contrôle de cette action. Tel est le cadre de la logique de cette action publique dont l’objectif est de révéler et valoriser des ressources à un endroit donné en vue d’impulser une dynamique de développement local et national. La Guinée, après 26 années de centralisation politique s’est engagée dans ce processus aux lendemains de 1984 et force est de reconnaître aujourd’hui que les résultats sont en deçà des objectifs escomptés.

Devrions nous rougir de la situation, oui, parce que tout simplement la volonté politique dans la concrétisation de ce processus y a fait défaut mais alors pourquoi devrions nous chercher à l’approfondir ? Toute la réponse réside dans la prise en compte de l’espace dans nos politiques publiques. Il est clair que cette dimension du développement a fait objet de peu de réflexions quant à son impact mais loin d’être simplement le support matériel de la réalisation des activités économiques, l’espace à travers sa mise en valeur constitue un des éléments d’orientation et de structuration de l’activité économique. Il concentre les ressources physiques et humaines dont l’interaction produit de la valeur ajoutée à travers des mécanismes de production et de distribution. La dynamique de l’économie globale aujourd’hui montre à quel point cette dimension est prégnante avec la place des économies asiatiques dans la production mondiale reposant une faiblesse des coûts de production mais aussi dans l’autre sens avec le début du phénomène de la relocalisation. La prise en compte de cette dimension spatiale constitue une nécessité pour nos économies en quête permanente de souffle. Elle permet d’objectiver les atouts et les contraintes, éléments rendant impérative la différenciation des politiques de développement. Cela appelle à l’Homme politique d’avoir une approche globale mais avec des déclinaisons pour prendre en considération des spécificités locales en vue de mieux valoriser les ressources qui existent sur le terrain et favoriser la reconnaissance des citoyens aux choix qui sont effectués.

Nombreux sont les exemples qui plaident pour cette approche à travers des formes d’organisation productive comme les Systèmes Productifs Locaux ayant réussi à dynamiser des économies locales grâce à des savoirs et savoirs-faire spécifiques. Dans un contexte de mondialisation, l’espace constitue un atout dont la valorisation permet de créer et de maintenir des activités économiques, sources d’emplois et de distribution de revenus. C’est en son sein qu’on a toute cette énergie d’hommes et de femmes qui, à travers divers regroupements se battent au quotidien pour élever leur niveau de vie. La prise en compte de l’espace n’est pas une chose aisée car requiert une réorientation profonde de nos politiques publiques, de nos façons d’imaginer les choses, de vivre notre rapport aux autres. Il y a nécessité d’approfondir le processus de la décentralisation pour davantage d’autonomie des collectivités locales par la mise à leur disposition de moyens humains et financiers pour conduire leurs politiques de développement. Des réformes structurelles s’imposent tant sur le nombre de collectivité que sur les relations entre différentes autorités (déconcentrées et décentralisées). Pour rappel, il y a quelque temps j’étais pour l’institutionnalisation de la Région et de la préfecture comme entités décentralisées mais aujourd’hui, je serai partant pour un niveau tout en continuant d’approfondir la réflexion là-dessus sur l’échelle à choisir.

Approfondir la décentralisation appelle à une réorientation de notre système d’enseignement par la mise en œuvre de cursus débouchant sur le développement local pour former les ressources humaines (économistes, gestionnaires, administrateurs, urbanistes, agents de maîtrise, Hommes de média…) pour accompagner les collectivités. A cela il faut ajouter une réforme en profondeur de la fiscalité locale pour doter les collectivités de moyens financiers. C’est aussi la nécessité d’imaginer des groupes transversaux de travail en différents départements ministériels c'est-à-dire adopter des approches globales des problématiques de développement. Intégrer l’espace dans nos politiques publiques passe aussi par une redéfinition des rapports entre gouvernants et gouvernés, par la promotion de la liberté de parole et d’initiative, le respect de la différence et faire en sorte qu’émerge une véritable société civile dont les embryons existent de nos jours et fort heureusement. Et c’est au politique de définir ce cadre et de l’organiser pour favoriser le développement des initiatives individuelles et collectives pour que chacun se reconnaisse dans l’action collective entreprise. Il est clair qu’approfondir la décentralisation fera émerger de nouveaux équilibres entre gouvernants et gouvernés, de nouveaux rapports de force entre différentes autorités donc à une manifestation de conflits d’intérêts entre groupes sociaux mais gérer cela revient au politique et c’est le coût pour un développement équilibré et le supporter est préférable à l’immobilisme. Cela reste un travail de longue haleine je le consens, mais somme tout exaltant car in fine permettant à chacun d’être acteur de la conduite des choix le concernant. Aujourd’hui, des réussites des programmes d’accompagnement des collectivités en Guinée plaide plutôt pour aller dans ce sens, c’est le cas notamment du PACV. Alors à nous de jouer, d’être imaginatifs et d’avoir toujours à l’idée que rester près des préoccupations des populations en les écoutant et les impliquant dans les la conduite des politiques publiques sont un gage certain de leur réussite.

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