L’entre deux tours : que de bisbilles mais quelques leçons toute de même

Un important record est entrain d’être franchi en Guinée, pays de paradoxes et de singularités. Que de temps entre le premier tour des élections présidentielles du 27 et l’annonce d’une date jugée crédible pour le second. Que s’est-il passé entre temps ? Discussions, contradictions, promesses, échecs...Quoi que l’on retienne, il est quand même évident qu’une première a été franchie. Pour la première fois, la tenue d’une élection présidentielle n’était pas faussée d’avance par l’un des compétiteurs et dans l’ensemble pour nombre d’observateurs, la consultation s’est bien déroulée. Bien évidemment, il y’a eu contestation, mais franchement qui pouvait s’attendre au contraire. Depuis lors et jusque récemment, rares sont encore ceux qui pariaient sur une date du second tour et surtout de son respect pour des contraintes matérielles et financières, et sans doute aussi de calculs politiques. Il faut reconnaître qu’organiser ces élections au moins de juin était un pari en soi et ce, pour couper cours à la transition, qui de toute évidence s’éternisait. Dans l’ensemble, le 24 octobre est jugée crédible au regard des efforts notamment faits pour le second tour de cette présidentielle « longue ». Ces élections certes imparfaites, furent l’occasion pour le peuple d’exercer un de ses droits majeurs à savoir celui d’élire ses dirigeants, et au regard de notre histoire, cela est déjà un acquis. Le peuple a montré qu’il avait soif de démocratie et aspire simplement vivre comme d’autres de son temps.

L’autre élément d’enseignement des résultats du premier tour reste un fort ancrage régionaliste voir ethnique du vote. Pour beaucoup cela reste une anomalie de notre « démocratie ». Mais à qui la faute ? Au peuple ou à l’intelligentsia ? C’est quand même paradoxal de donner la chance réelle pour une fois à un peuple d’élire son président et le condamner dans ses choix, comme s’il était obligé de se soumettre au dicta d’une quelconque intelligentsia. Je pense que ce raisonnement est limité et les résultats ne sont en aucune manière une surprise du fait notamment de la compréhension des enjeux démocratiques dans notre pays. Nous sommes un pays jeune certes, mais qui n’a pas forcément fait tous les efforts pour être en phase avec l’évolution du monde. Comment ces résultats auraient pu être vraiment différents dans un pays :

  • Qui n’a jamais en réalité connu une élection présidentielle transparente, si non comment expliquer le score pathétique de l’ancien parti au pouvoir d’à peine 1% et qui, on se souvient encore « gagnait » ce type de consultation au premier tour ?
  • où l’Etat qui est sensé incarné la bien commun s’est toujours retrouvé prisonnier de groupes d’individus l’utilisant plutôt come canal pour atteindre leurs objectifs et a finalement failli ?
  • Où les inégalités sociales et territoriales sont plutôt règles et non exception pour nombre de citoyens qui malgré les efforts voir toujours d’autre prendre l’ascenseur « social » ?

Si l’on analyse un vote comme l’expression d’une demande de sécurité individuelle et collective et vu les différentes formes de réponses apportées dans notre pays depuis fort longtemps, il n’y a vraiment pas de raisons de s’étonner des résultats. La vérité est aussi là. Car le citoyen de par les pratiques du pouvoir indépendamment du corpus juridique s’est toujours senti protégé lorsqu’il a quelqu’un au pouvoir ou à coté. Il a souvent vu venir une route, un dispensaire, une école, une source d’eau potable et même une justice ou une sécurité primaire quand quelqu’un du quartier, du village, de la ville…était au pouvoir où çà côté. Je pense vraiment que le citoyen a été cohérent dans ses choix et c’est à l’intelligentsia de chercher l’erreur, elle qui est sensée mieux connaître le monde dans son évolution que le citoyen lambda. L A vrai dire, c’est plutôt le contraire qui m’aurait étonné. On verra si dans 25 ans après avoir fait les réformes qu’il faut et mis l’Etat dans son rôle de protecteur de tous, on aura le même vote. Impossible. L’histoire des démocraties modernes nous montre simplement que les premiers tours des élections présidentielles restent toujours l’occasion de l’expression des convictions, de la diversité et le second tour celui du rassemblement. Je ne pense ces élections aient dérogé à cette règle. Et cette même histoire nous apprend aussi que l’ancrage idéologique structurant actuellement les suffrages des électeurs à première vue n’ont toujours pas été ainsi.

On est passés de la lutte entre différents ordres à celles des classes pour aboutir aux visions politiques actuelles auxquelles se reconnaissent les citoyens. Une analyse simple démontre que le citoyen lambda est de plus tenté d’attribuer son suffrage vers une communauté sensée de le « protéger », qui peut être idéologique, identitaire ou autre. En réalité cela fait partie intégrante des processus démocratiques. Pourquoi aux Etats Unis, le Communautés Noire et Hispanique sont plutôt tentées par le parti démocrate ? Pourquoi par exemple en Europe et aux Etats-Unis parle t’on de famille politique au sens biologique du terme ? (on entend souvent l’expression, ils sont de gauche, de droite…). Personnellement, je me suis plutôt réjoui de l’exercice du droit de vote que des critères de choix des électeurs. Ce qui est génial pourrais-je dire pour ces élection, mais qui est juste normal dans d’autres pays vu la proximité des systèmes politiques, c’est au moins la perspective d’un second tour ouvrant de facto aux jeux d’alliances. Il est aussi clair que ces rapprochements se sont faits sur la proximité des programmes et de calculs politiques. Cela ne constitue en aucun cas un problème en soi, mais entre parfaitement dans le jeu démocratique. Cette formation de coalition permet d’augmenter les critères pouvant fonder le choix de l’électeur au second tour. Un autre acquis de ces élections qui fera office de précédent. Beaucoup ont glosé sur ce vote régionaliste pour expliquer que la Guinée est au bord de l’implosion ; là, je m’inscris en faux. La cohérence des électeurs est claire, c’est la manipulation des politiques qui est regrettable. Oui l’après second tour d’une élection première est toujours craint, mais suis convaincu que les guinéens dans leur majorité ont à l’esprit de préserver l’essentiel à savoir la paix. Ils ont surtout compris au fil du temps que le vrai drame de ce pays reste la pauvreté de ses citoyens et non les différentes ethniques et culturelles, qui sont en soi une richesse, mais instrumentalisées à des fins politiques.

La troisième évolution que j’ai envie de mentionner et qui risque de n’avoir lieu, est ce fameux débat entre les deux candidats au second tour. Ne pas le tenir serait une faute grave tant il aurait été un précédent en inscrivant ce temps fort d’une campagne électorale comme un passage désormais obligé. Toute chose dans l’histoire a un début que le plus souvent le contexte ne favorise pas, il appartient aux Hommes dans ce cas de rendre les choses possibles. Il y a toujours de bonnes raisons de ne pas commencer, à s’y attarder de trop ou vouloir le perfectionnisme risque de nous plonger pour longtemps dans l’inaction, dans notre envie de se satisfaire de l’existant alors que le progrès réside dans le dépassement. Il faut du courage pour passer des caps encore plus quand on aspire dans ce genre de circonstances. L’élection présidentielle reste un moment de vérité entre un Homme et son peuple, même les plus avertis peuvent craquer dans des situations pareilles, et il est toujours important aux delà des portes paroles de campagnes, que le peuple écoute le présidentiable, le candidat. Ce sont là des moments de communion inoubliables dans les processus démocratiques tant le discours marque et passe le temps. Quels plaisirs nombre d’entre eux trouvent à réécouter une chanson, un discours, à regarder une vidéo… Tenir ce débat télévisé aurait été un précédent, une innovation de notre balbutiante démocratie et une façon de rendre hommage aux Hommes de média qui travaillent dans les conditions que l’on sait pour accompagner cette évolution de notre peuple.

J’insiste sur le mot innovation qui n’existe pas simplement que dans les théories de marketing, le développement passe aussi par la qualification des processus nécessitant forcément l’introduction du nouveau, le dépassent de soi au service des institutions. Le 24 octobre reste tenable au vue des avancées et des efforts des acteurs. Il est clair que l’enjeu principal de cette élection demeure le retour à l’ordre constitutionnel, chacun de nous a sûrement une préférence, telle est la logique démocratique. Que le perdant accepte et il sortira grandi pour préparer les échéances législatives et locales. Une seule coalition aura ainsi mandat pour gouverner, chose ne voulant absolument pas dire que l’autre est écartée de la gestion du pays. Mais de là, à parler d’un gouvernement d’union nationale, on franchit trop vite cap. Je pense qu’un tel attelage pour le futur exécutif reste le meilleur moyen de rendre le pays ingouvernable et mettre à l’eau tant de sacrifices consentis. La démocratie a besoin d’un gouvernement et d’une opposition pour le débat d’idées, la contradiction, la proposition d’alternatives et une situation des responsabilités. Ce sont là des choses quasi impossibles avec un gouvernement d’union qui dilue les responsabilités et étouffe les initiatives. L’architecture gouvernementale me semble t-il est déjà réglée avec la constitution de coalitions et promouvoir un gouvernement d’union nationale est une vraie erreur d’analyse. De toute manière, le dépassement de certaines situations nécessité toujours de l’audace et tous les peuples dans leur évolution à un moment donné ont marqué une rupture, certes difficile à l’instant mais qui s’est avérée nécessaire dans le temps. Alors ne loupons pas encore une belle occasion, aux lendemains du 24 octobre, ce pays aura surtout besoin d’un gouvernement responsable et qui rendre des comptes en fin de mandat au peuple.

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