POURQUOI CONTINUER A APPROFONDIR LA DECENTRALISATION EN GUINEE ?
Qui s’occupe de la
gestion des ordures et de l’éclairage public ? Comment ces
interventions sont-elles financées ? Combien ça coûte au contribuable ?
Comment interviennent les communautés dans la fourniture des services
publics ? Comment accompagne-t-on les autorités communales dans l’exercice
de leurs compétences ? Comment rendre efficaces les interventions citoyennes dans la gestion des communes? Quels
rôles pour les Autorités administratives appuient la conduite des projets
développement à la base? Quels recours pour les citoyens en cas de défaillance
du service public ? Voilà autant de questions dont les réponses ne sont
pas évidentes pour les praticiens et avertis du champ de la décentralisation et
du développement local à plus forte raison le Guinéen lambda. Et pourtant de la façon dont chaque question est abordée et
résolue, le citoyen est impacté dans sa vie au quotidien. L’une des
conséquences de l’histoire contemporaine de la Guinée reste la forte
centralisation de l’exercice du pouvoir politique faisant de la décision sur
les choix collectifs, un attribut de quelques- uns même si théoriquement, la
Guinée a tourné dos au socialisme politique en 1984. Dans la pratique, au-delà
de la posture libérale du régime politique affichée depuis, l’Etat reste très
concentré et bien évidemment la conduite des politiques publique n’échappe à
cette réalité. Résultats, pas mal de choix souvent erronés, une impulsion et
une coordination insuffisantes, des démarches pas très bien comprises, une
faible mobilisation des citoyens et des résultats pas à la hauteur, ni des
ressources encore moins aux aspirations collectives.
C’est là tout
l’intérêt des processus de décentralisation avec la création constitutionnelle d’institutions
autonomes dotées de pouvoirs et de ressources pour assumer certaines
responsabilités dans la vie du citoyen. La Guinée s’y est engagée depuis la fin
des années 1980 avec cette volonté de faire du développement à la base une
réalité avec une libre implication des citoyens. Des avancées ont certes été
notées comme au début de tout processus, mais à bien des moments, le bateau de
la décentralisation et du développement local a tangué et bien failli chavirer.
Et, fort heureusement, depuis, une dizaine d’années, on sent une certaine
volonté matérialisée par d’importantes réformes d’aller de l’avant malgré les
soubresauts inhérents à de tels processus. Maintenir ce cap des réformes est
essentiel car la Guinée souffre énormément des conflits de compétences dans la
gestion des affaires publiques, de l’ignorance des principes et règles de
fonctionnement d’un Etat pourtant décentralisé, depuis plus de trente ans.
Ces réalités, le
pays les paye en coûts politiques et socio-économiques avec notamment la faible
capacité de ses institutions nationales
et locales à promouvoir un bien-être collectif. Ancrer d’avantage les principes et démarches de la
décentralisation en tant que philosophie et option politique dans la fourniture
des services publics est une solution pour faire face aux défis du
développement en Guinée. Il est vrai que les processus de décentralisation sont
compliqués et remettent au goût des enjeux politiques, socioéconomiques voire
identitaires. Ce sont des réalités qu’on ne pourrait nier et l’expérience
guinéenne est édifiante en la matière. Cependant, ces processus mobilisent,
rassurent, crédibilisent la conduite des politiques publiques en apportant une
fine connaissance des terroirs, des ressources, des acteurs et des possibilités
de dynamiques de développement. De tels cadres juridique et institutionnel permettent
de mieux élaborer les politiques publiques en les ramenant à des échelons
territoriaux plus aptes à les concrétiser avec ceux qui en sont les
bénéficiaires, en calibrant les projets, le tout avec une implication des
communautés à la base. Ce sont là des ingrédients essentiels à la réussite
d’une action/initiative de développement.
Certes des
efforts importants ont été faits ces dernières années en la matière avec la
conception et l’adoption de la Lettre de Politique Nationale de la
Décentralisation et du Développement Local, la mise en route d’instruments
financiers avec la création de fonds dédiés (fonds national de développement
local, fonds de développement des communes de Conakry, fonds de développement
économique local), la conception et la mise à l’épreuve d’outils techniques de
planification du développement à la base, l’adoption d’un nouveau code des
collectivités locales ou encore l’organisation d’élections locales. Cet élan
doit être poursuivi tant la marge de progression reste importante. Approfondir
ce processus de décentralisation en faisant en sorte que la philosophie politique,
les démarches techniques et les pratiques associées soient le plus largement
partagées et mises en pratique conduira nécessairement à repenser la
gouvernance des politiques publique en Guinée. Cela passe notamment par une
amélioration continue des cadres juridique et institutionnel, le renforcement
des capacités techniques des collectivités locales, des services déconcentrés
et des administrations centrales ; l’effectivité des transferts financiers
vers les collectivités locales, l’appui à la maîtrise de la chaîne de
recouvrement des impôts et taxes locaux, le développement de la coopération
intercommunale … Objectif, aller vers une autonomie plus grande des
collectivités locales. Cette autonomie se mesure par la capacité technique et
opérationnelle des collectivités locales à exercer leurs prérogatives
à l’échelle de leur territoire.
Cette capacité
propre renvoie à la maîtrise par les collectivités locales de leurs recettes et
dépenses; à savoir initier, mettre ne œuvre, suivre et évaluer des projets de
développement ; à organiser et faire vivre des cadres d’échanges et de
partenariats et de promouvoir leur territoire. Ce travail est colossal. Il prendra
du temps, mobilisera des ressources et nécessitera une volonté politique (celle
qui définit les orientations et affecte les ressources) continue durant les
prochaines décennies. La Guinée a tout à gagner à aller dans ce sens. Car ;
avec l’émergence à l’échelle globale des notions et de pratiques de
territorialisation des politiques publiques, le temps est venu d’approfondir encore
ce processus politique qui facilite l’éclosion de ressources territoriales en
faisant des échelons infranationaux de véritables promoteurs du développement.
Ainsi pourrons émerger des centres de pouvoirs locaux, plus proches des besoins
des populations et en capacité de les satisfaire via des initiatives propres. A
vrai dire, un processus de décentralisation conduit minutieusement et dans le
temps, en tant que vision politique permettra sans nul doute, de rééquilibrer davantage
les centres de décisions entre Conakry et les périphéries en créant de nouveaux
espaces de conception, de mise en œuvre et de coordination des politiques
publiques.
La Guinée a une
expérience en matière de développement local, différents programmes ont été
menés dans ce sens. On peut notamment citer le Programme d’Appui aux
Communautés villageoises qui a contribué à équiper et à améliorer l’accès aux
citoyens à des services essentiels. Avec le temps, les communautés s’approprient
les processus de développement à la base et manifestent cette volonté d’y
contribuer en mettant à disposition leurs ressources (argent, compétences,
réseaux) et exigent d’être considérés comme acteur à part entière dans la prise
en charge de leurs besoins. C’est cela, l’essence même de la décentralisation.
Il faut aussi noter qu’aujourd’hui à l’échelle globale, le niveau local est
promu et devient attractif en témoignent tous les outils techniques et les
mécanismes de financement développés par les partenaires techniques et
financiers pour toucher dans leur déploiement, au plus près des réalités que
vivent les communautés à la base. Au-delà, nous sommes à un moment où émergent
ailleurs de véritables dynamiques avec l’action de gouvernements et d’exécutifs
locaux, où se forment des réseaux d’action multiples et s’expérimentent des
modèles de gestion des collectivités locales, avec à la clé, des résultats tangibles
en termes de services rendus aux communautés. Au regard de ces éléments et de
l’expérience propre de la Guinée, ancrer la politique nationale de
décentralisation dans sa dimension transversale permettra sans nul doute à ce
pays, de trouver de nouvelles ressources pour aller vers un développement
national plus équilibré, inclusif et reposant sur des dynamiques locales.
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