L’Afrique et ses travailleurs immigrés


Il y’a quelques jours me promenant le long du fleuve sénégal, frontière naturelle entre le pays qui porte ce nom et la Mauritanie, j’ai eu à converser avec des jeunes qui le long du fleuve du coté de Bakel faisaient du linge. Il est vrai que cet endroit est splendide, d’un coté le Sénégal et à quelques mètres plus loin la Mauritanie, mais ce qui m’a le plus marqué, c’est qu’ils étaient maliens et venaient de la région de Kayes. En curieux développeur et dans un ton plutôt courtois, je leur ai demandé pourquoi jusque là pour travailler, entendez faire ce boulot. Dans l’ensemble la réponse qui me fut apportée est manque de débouchés et de perspectives là où ils étaient. Cette réponse est intéressante en terme d’analyse lorsqu’on la remet surtout en perspective dans le contexte global où les questions des migrations des populations occupent une place importante dans les débats politiques tant au Nord qu’au Sud. Il est vrai en Afrique de façon moindre et moins spectaculaire mais non moins problématique surtout en ce qui concerne aussi les immigrés peu ou pas qualifiés. Que de clichés, d’images poignantes, de non dits sur la gestion des flux migratoires, de relations construites ou réelles entre cette question et d’autres sociétales notamment au Nord. Que de notions, de politiques mises en oeuvre pour stopper celle clandestine et/ou encourager celle des plus qualifiés. En somme, que d’évolution en terme d’idéologies que de pratiques dans la gestion des flux migratoires et plus précisément des travailleurs peu ou pas qualifiés.

Longtemps les spécialistes de ces questions et les médias se sont focalisés sur l’émigration Sud Nord et très rarement sur celle Sud-Sud pourtant bien réelle et qui sur bien d’éléments aujourd’hui se rapprocherait de la première. Que d’images terribles qui nous viennent de Ceuta et Melilla, de Lampedusa contribuant à faire de la question de l’immigration en Europe notamment, un véritable sujet de société, un clivage entre familles politiques, du moins dans la rhétorique. Cette question cristallise les débats entre l’Afrique et l’Europe traduisant juste la nécessité d’échanger davantage à ce sujet. Au début de ce siècle nouveau, paradoxe, il se construit encore des murs entre pays, des peuples à l’heure où le monde est appelé à s’ouvrir, où la mobilité s’impose déjà comme une nécessité. Certes l’émigration Sud-Nord fait couler beaucoup d’encre, mais que dire alors de celle Sud-Sud ? Moins préoccupante politiquement peut être mais non moins problématique au vue par exemple des actes xénophobes de 2008 au pays de Madiba. Toujours est-il qu’elle est bien réelle. Il suffit juste de parcourir les villes africaines avec ces par ces subsahariens au Maghreb, ces zimbabwéens dans la nation Arc en ciel ou simplement ces camerounais au Gabon et en Guinée Equatoriale ou encore ces guinéens en Angola.

Ces travailleurs immigrés intra-africains parcourent l’Afrique à la recherche de débouchés économiques. Raison pour laquelle actuellement beaucoup d’entre eux s’installent dans les pays pétroliers du continent où ils travaillent dans le BTP, le commerce ou dans les emplois domestiques. Ces emplois sont souvent très précaires et/ou délaissés par les travailleurs locaux. . De ce point de vue il y a un rapprochement avec la logique de l’émigration Sud-Nord. On se rend compte ici que c’est avant tout le manque de perspectives, l’insécurité économique et le regard des sociétés sur différents métiers « peu valorisants » qui font que ces populations plutôt jeunes peu ou pas qualifiés migrent à la recherche de sources de revenus pour satisfaire leurs besoins. Une simple géographie de l’émigration intra-africaine montre que c’est la dynamique économique qui en est un facteur primordial. Cela reste quand même du classique en matière de mouvements de populations à l’image d’ailleurs de ce qui se passe à l’intérieur des pays avec l’exode rural par exemple. Nous ne sommes plus à l’époque de l’émigration politique massive qui existe malheureusement encore du fait de l’instabilité politique de certains pays. Mais dans l’ensemble, c’est l’appauvrissement, le manque de perspectives, le sentiment que rien n’est possible ici qui pousse tout une partie de la jeunesse à aller vers d’autres horizons dans l’espoir d’y faire fortune ou tout simplement de subvenir aux besoins du quotidien. Bien évidemment que toutes ces questions demeurent avant tout politiques, mais si nous sortons l’économique, on se rendrait compte qu’il joue un rôle majeur.

Nous ne traiterons pas ici de l’émigration des plus qualifiés largement abordée par la mise en place de dispositifs institutionnels pour l’encourager au vue de ses effets porteurs dans la dynamique économique globale. De nos jours à travers de multiples exemples, on peut se rendre compte que l’émigration intra-africaine surtout des moins qualifiés comme déjà à poser des problèmes de gestion dans certains pays. Ces travailleurs n’ont pas souvent la vie facile avec les conséquences des réflexes identitaires de certains pays hôtes menant logiquement à des phénomènes de discrimination et de rejet de l’autre, situations pouvant le plus souvent dégénérer pour conduire à des évènements tragiques tels les actes xénophobes de 2008 en Afrique du Sud. L’une des conséquences demeurent aussi le durcissement des lois relatives à l’entrée et au séjour des étrangers dans plusieurs pays ou les rapatriements comme les charters venant de la Libye, du Gabon, de l’Angola. Voilà des réalités que l’Africain lambda a du mal à saisir à un moment où refait surface la vielle idée de l’unité africaine. Comment expliquer ce contraste pour beaucoup ? A y voir de clair, les flux migratoires actuels dans l’Afrique, on se rend compte que l’économique est au cœur de la démarche. Les destinations restent largement les pays qui connaissent une dynamique économique forte, autrement dit nous sommes bien face à l’émigration économique. Et cela pose d’énormes défis à tous ceux qui travaillent dans le monde du développement sur ce continent.

L’enjeu est de taille, les situations complexes et l’idée ne devrait être celle de vouloir maintenir des populations car l’évolution du monde fait que nous sommes appelés à bouger mais le substrat de l’action doit demeurer celui de créer des conditions pour qu’émergent de véritables perspectives là où elles sont. C’est tout l’intérêt pour les acteurs du développement de s’inscrire perpétuellement dans une dynamique d’invention et d’innovation, pour toujours imaginer, adapter la pensée et ses mécanismes de mise en œuvre. Dans ce domaine, rien ne saurait être pris comme tant les situations sont diverses et complexes. Je suis conscient que tout cela devrait s’inscrire dans une cohérence globale pour plus de lisibilité et d’efficacité sur le terrain mais cela ne saurait en rien faire déroger à ce principe de remise en cause permanente pour trouver des solutions adaptées dans l’espace et le temps. Les projets économiques devraient avoir une place importante dans les actions entreprises permettant aux populations locales de révéler et de mettre en valeur les ressources que recèlent leurs territoires pour satisfaire leurs besoins. Ainsi, des perspectives se créeront pour remplacer ce pessimisme ambiant que l’on rencontre si souvent en parcourant ce continent. Pour beaucoup, « rien n’est possible ici » alors que tant d’exemples, même si peu des fois montrent le contraire. Ces sur ceux là qu’il faut capitaliser et promouvoir des initiatives pour les améliorer.

Penser déjà que rien n’est possible reste la première défaite dans ce cadre là car la première recette en matière de développement d’un pays demeure avant tout la foi qu’ont ses citoyens en ses atouts et contraintes. Toute une révolution à ce niveau en Afrique. C’est là aussi toute la pertinence de l’approche territoriale du développement. Cette démarche qui permet par une dynamique d’acteurs et par le biais du partage de l’information de révéler et de mettre en valeur des ressources. Au moment où la dynamique économique globale engendre des externalités tant positives que négatives, la référence au territoire demeure une valeur sûre car non délocalisable. Faire face à l’émigration des moins qualifiés en Afrique, éviter les charters de rapatriement du continent ou d’ailleurs ou simplement des actes d’un autre âge mobilisera encore tant d’énergies et sera difficile. Il appartient aux Etats Africains de se forger de véritables stratégies de développement, recréant ainsi l’espoir et suscitant l’adhésion des acteurs impliqués. Nous ne pourrons faire durablement économie de cela. Une véritable stratégie de développement est celle qui prend en compte les spécificités locales et permet de créer durablement les richesses au profit de tous et de lutter contre les inégalités sociales et spatiales. Aujourd’hui tant au niveau des Etats qu’à l’échelle internationale, un monde d’abondance ne saurait coexister durablement avec des poches importantes de pauvreté. Des dispositifs de partage des richesses économiques et culturelles par le biais de divers partenariats sont tant indispensables à différents échelons de territoires pour promouvoir la prospérité individuelle et collective. Ce n’est que ainsi que les questions migratoires pourront être gérées efficacement et de façon durable.

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