Repenser la notion de solidarité… en Guinée

Chers lecteurs, permettez moi de vous livrer une réflexion que j’ai depuis un moment sur la notion de solidarité. Elle est le fruit d’observations de terrain et discussions souvent houleuses et impréparées entre amis, comme pour dire, les véritables réflexions émergent là on les attend le moins. Dans le langage courant, on entend souvent dire que nous Africains sommes solidaires, ce qui laisse imaginer qu’ailleurs on ne l’est pas ou du moins le serait moins. On se targe encore de l’être et on cherche à le démontrer à chaque occasion possible. La solidarité est une valeur fondée sur l’esprit de partage, d’assistance et qui devrait permettre d’élever le bien être de tous à l’échelle d’une communauté humaine donnée. Cette nécessité de partage, de don, d’assistance à autrui trouve ses racines dans des considérations humaines, culturelles et religieuses. Et des faits témoignent encore de la manifestation de cette valeur comme lors des cérémonies sociales, un exemple parmi tant de lieux d’entraide mutuelle en Afrique. Cette forme se solidarité, nul besoin de rappeler ici son importance mais est ce suffisant aujourd’hui ? Cette question a le mérite d’être posée. Si non comment expliquer l’état de pauvreté dans notre Guinée qui est pourtant pourvue de richesses énormes sur lesquels il aurait dû s’appuyer pour promouvoir le bien être collectif de tous. Comment expliquer alors les écarts de richesses hallucinants, parfois inimaginables ou simplement les inégalités d’accès aux possibilités d’épanouissement individuel et collectif.

Ces questions là doivent être posées aujourd’hui pour créer le débat autour des valeurs que nous sommes sensés incarner au quotidien. Je suis tout à fait conscient que nombreux sont les facteurs politico-économiques, internes et externes au fil du temps qui nous ont conduits à cette situation peu enviable. Mais, une fois de plus, cela ne saurait nous faire déroger à cette règle fondamentale qu’est de réfléchir pour toujours améliorer l’existant en se questionnant, en bousculant les idées reçues, en combattant les vérités toutes faites, le tout dans une démarche d’analyse et de compréhension des choses que nous vivons. Nous ne pouvons faire durablement économie d’une telle démarche tant les réalités du monde changent appelant de notre part une adaptation perpétuelle au risque de perdre nos repères. Il ne s’agit nullement d’épouser tout résultat de l’évolution sociétale, loin de là. Mais de réfléchir encore et encore dans un monde mouvant à nos logiques d’action, à la pertinence de nos valeurs et à leur déploiement dans le temps et l’espace. La question de l’échelle de la solidarité se pose à nous tant notre organisation a changé, fruit de bouleversements historiques. A cette dimension, il faut nécessairement ajouter les limites de la solidarité naturelle plutôt centrée sur une communauté restreinte de personnes dans l’éclosion d’un bien être collectif à l’échelle de la Guinée. Oui, il faut maintenant promouvoir à cette échelle là d’autres formes de solidarité que je qualifierai de républicaine.

A la lecture du paradoxe Guinéen mais aussi de bon nombre de pays Africains à savoir, nous sommes certes solidaires mais vivons dans l’ensemble dans des conditions difficiles, voire précaires et très disparates, nous pouvons faire deux hypothèses d’analyse. Primo, nous ne sommes pas solidaires ou le sommes de moins en moins. Pour ma part, je pense que la solidarité dite naturelle existe encore bel et bien dans cette société et heureusement, mais qui a tendance à souffrir des bouleversements socioéconomiques de l’époque, même si cela n’empêche l’émergence ou la persistance de certaines formes de son déploiement à travers une accommodation aux réalités dites modernes. C’est le cas par exemple du développement du micro crédit à travers une institutionnalisation des tontines, des contributions des immigrés à la réalisation de projets collectifs dans leurs terroirs d’origine, l’engagement d’hommes et de femmes dans des structures associatives... Secundo, nos logiques, nos dispositifs de solidarité formels ou pas sont bousculés par les réalités actuelles à travers des changements importants intervenus dans notre façon de penser, d’agir et de s’organiser, fruit de l’évolution des sociétés. Il existe une règle presque fondamentale qui fait que lorsque les sociétés changent, les groupes qui les composent voient leurs rapports, leurs logiques d’action et leurs valeurs évoluer. Dans ce cas précis de la notion de solidarité, ses racines ne sauraient être remises en cause mais ses logiques de déploiement et l’échelle sont encore à réfléchir. En plus de cette solidarité dite naturelle, on devrait vraiment renforcer celle positive ou « contrainte ». Je sais pertinemment que la notion de contrainte se conjugue mal avec l’idée même de solidarité mais une fois de plus c’est celle là qui permet de combler les limites (groupe ciblé, temps et espace limité, mise en concurrence des formes, certaine dépendance des individus…) de la première.

Nous sommes dans des Etats, composés de groupes sociaux différents et pourtant appelés à vivre ensemble en mutualisant nos forces notamment. Pourquoi avoir explicitement mentionné cette valeur dans notre devise nationale même en considérant qu’elle faisait partie intégrante de nos identités respectives ? Elle peut paraître non sens cette question mais loin de là. Force est de constater que si nous pouvons être fiers du déploiement de nos logiques de solidarité naturelles à certains égards, nous ne pouvons l’être du degré de solidarité à l’échelle nationale. Il n’est un secret pour personne qu’en Guinée, quelqu’un qui naît dans une famille où il n’a « personne » pour lui venir en aide, il aura probablement moins de chance que d’autres. Il doit exister d’autres logiques, à une autre échelle pour prendre en charge ces spécificités du vivre ensemble, afin que nous ayons tous les mêmes possibilités de départ. Objectivement, on ne peut parler de solidarité réelle lorsque les inégalités à la naissance sont criards et restent entretenus par un système qui fait qu’au finish, il y en aura quelques uns qui s’en sortiront et la grande majorité du fait de dotations initiales faibles en terme de capacités souffrira probablement tout au long de la vie. On a l’impression que la chose la mieux partagée dans ce pays depuis son indépendance reste l’inégalité réduisant au fil du temps l’espoir de plusieurs d’entre nous à une meilleure vie.

Aller vers une vraie solidarité nationale demeure une nécessité pour la Guinée, quitte à la rendre vraiment contrainte au sein de la république par un arsenal de textes juridiques à cet effet. C’est à cette échelle qu’un partage équitable des richesses collectives à travers la conduite de projets au bénéfice des populations afin d’être capacitées et devenir ainsi les acteurs de leurs vies. Il s’agira de promouvoir par exemple l’accès aux services de base (eau, logement, énergie, santé, éducation…), le désenclavement (routes, infrastructures numériques…) pour permettre à tous d’avoir la même chance au départ. Conclusion, la vraie solidarité réside dans l’offre et le développement de possibilités d’épanouissement pour chacun et tous. Ceci, à travers un partage des richesses, des savoirs et savoirs faire pour doter les individus de « capabilities », référence à Amartya Sen. Et pour ce, l’éducation doit être au cœur de l’action publique, le pivot de tout projet de société visant une réduction réelle des inégalités. Il ne s’agit pas de donner à chacun l’équivalent de l’autre, mais d’offrir à tous les mêmes possibilités pour commencer la vie. Ainsi, la famille, le lieu de naissance… ne devrait plus alors constituer des freins insurmontables pour bon nombre d’entre nous dans leurs objectifs de vie. Et c’est là tout l’intérêt pour la Guinée de se doter d’institutions fortes et responsables capables de contenir voire stopper la reproduction des privilèges pour les uns et les difficultés voire les ennuis pour les autres.

Sommes nous vraiment solidaires quand dans le même pays des millions voire des milliards de gnf sont réclamés à quelques uns alors que dans le même temps des populations entières attendent depuis l’indépendance, une piste, un poste de santé, une école ou …une source d’eau potable ? Sommes nous vraiment solidaires quand des jeunes restent dépourvus de toutes possibilités d’épanouissement individuel et collectif alors qu’au même moment certains de leurs âges sur d’autres cieux bénéficient de systèmes éducatifs adéquats sans lesquels nul développement n’est possible à ce jour ? Sommes nous vraiment solidaires lorsque des populations entières dans des villes et villages quelque part en Guinée vivent dans un dénuement complet, manquant de tout alors que l’argent public satisfait des envies de nombreux d’entre nous ? Je pense vraiment qu’il est encore temps de repenser cette notion de solidarité que nous utilisons à longueur de journée tant dans le contenu que ses logique et échelle de déploiement. Une meilleure solidarité nationale à travers la dépense publique reste le moyen le plus sûr d’atteindre la cohésion sociale réelle, source de l’efficacité économique dont nous avons tant besoin. Cette solidarité là lorsqu’elle est bien menée est celle qui permet à tous d’être dotés de compétences, de se voir offrir les mêmes chances pour affronter les défis du futur. Et ainsi, espérer participer au processus de valorisation des immenses ressources que ce pays recèle. Des exemples font légion prouvant encore que là où elle existe vraiment à cette échelle, on a de meilleures possibilités de vivre. En somme, partageons mieux nos richesses, nos savoirs et savoirs faire à l’échelle de la Guinée. Voilà comment sans nul doute, nous irons vers une société plus apaisée dans laquelle chacun s’identifiera et prospérera au bénéfice de tous.

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