Haro aux nationalismes circonstanciels et débridés

Ces temps ci, les médias du monde notamment francophones se passionnent pour l’Afrique avec le développement de la situation post-électorale en Côte d’Ivoire où le risque d’embrasement est bien réel. Il est clair qu’un vrai bras de fer se joue à dans ce pays, mêlant acteurs internationaux, régionaux et locaux et la solution qui sera trouvée marquera sans nul doute les esprits ainsi que l’évolution de la démocratie sur le continent. Car ce pays aujourd’hui est vraiment un cas d’école. Longtemps en Afrique, il y a eu contestation électorale, mais de cette façon, jamais. Comme pour dire, malheureusement, qu’on n’est jamais certain que le pire soit derrière. Espérons que raison et sagesse triompheront sur la nature humaine. Ce conflit post-électoral une fois de plus remet au goût le concept de souveraineté des Etats et son exercice. Il fait l’objet de multiples interprétations dans cette crise et sert de creuset pour mobiliser une partie des Ivoiriens de la part du président sortant. Il y a cinquante ans, une bonne partie de pays Africains notamment francophones accédaient à l’indépendance leur conférant ainsi la souveraineté politique, c'est-à-dire la reconnaissance juridique de leur existence distincte des autres Etats dans le concert des nations. Le problème qui est posé aujourd’hui mais qui, sans nul doute a toujours existé reste la capacité des Etats à exercer cette souveraineté dans leur évolution. Ce bras de fer dans ce pays qui n’est d’ailleurs le seul exemple à ce niveau montre au moins bien le malaise qu’ont certains dirigeants d’Afrique à face aux interventions d’acteurs internationaux dans la gestion de leurs Etats y compris avec leurs accords préalables.

Mais qui vraiment peut imaginer qu’un Etat aujourd’hui fût-il le plus puissant se gère seul notamment avec la multitude d’institutions et d’organisations tant au niveau des continents qu’à l’échelle internationale ? La situation en Côte d’Ivoire renvoie à la réalité des choses dans l’exercice de la souveraineté des Etats à savoir qu’elle n’est que relative. A partir du moment où un Etat adhère à un ensemble d’institutions et/ou d’organisations, il transfère de facto une partie de sa capacité juridique d’action dans le domaine concerné à ces entités et se soumettant du coup à des règles communes. De tout temps, des acteurs y compris des Etats ont cherché à se regrouper pour traiter des questions partagées dont l’action individuelle est inefficace dans la durée. C’est là tout le champ de la production des biens publics dont la paix en est un voire le plus important au regard de l’histoire du siècle dernier. Quoi que l’on dise, les institutions internationales font partie de la vie des Etats et restent indispensables à l’organisation de l’action collective. Elles peuvent être discutables les dynamiques de production des normes dans ces entités, mais cela ne saurait remettre fondamentalement en cause leurs légitimité et nécessité. Il appartient aux membres d’améliorer leurs logiques d’intervention pour l’atteinte des objectifs. Il y a encore certes beaucoup à faire à ce niveau, mais des progrès tangibles sont en marche et l’Afrique de plus en plus présente.

Adhérer à une organisation suppose une soumission à des principes et des règles s’appliquant notamment en cas de défaillance de comportement. Demander aujourd’hui le départ notamment des forces onusiennes en invoquant le principe de souveraineté nationale tant sur le plan du droit que dans la pratique ne pourrait passer. D’ailleurs elles restent et pourraient être renforcées. Faire appel au nationalisme Ivoirien en invoquant le danger la patrie face à un ennemi extérieur qui serait la communauté internationale, d’autres l’ont tenté récemment en Guinée voisine avec les résultats de que l’on connaît. On peut disserter longtemps sur la notion de communauté internationale, je laisse ce débat aux juristes. Toujours est-il, que dans ce bras de fer, le président Ivoirien sortant a des marges de manœuvre très faibles à moins que la stratégie soit celle du chaos. Ce qui est dommage, c’est que le concept de souveraineté ne réapparaît le plus souvent pour ne pas dire toujours sur le continent, qu’à des moments critiques des pouvoirs en place. Instants précis où des moyens somme toute classiques, à l’image des médias sont employés pour galvaniser les foules, recréer un sentiment du rejet de l’autre. C’est aussi là que l’on voit l’écart entre les populations africaines de plus en plus regardantes sur l’évolution politique de leurs pays et les élites dirigeantes. Certes, certaines indépendances furent acquises par l’éveil des nationalismes mais à la différence de ceux qui s’expriment de nos jours, ils n’étaient ni circonstanciels et reposaient sur un contenu noble à savoir le désir d’émancipation des peuples dans un contexte historique sans ambigüité.

Je me souviens encore de la Guinée, d’il y a à peine une année où les mêmes recettes étaient utilisées pour faire croire à l’opinion que le responsable des nos maux était un ennemi extérieur mais aujourd’hui les résultats n’ont échappé à personne. Leçon de l’histoire, aussi noble soit-il le nationalisme, il est toujours important de le revisiter pour lui donner un contenu adapté aux enjeux du moment. Il pourrait être fédérateur lorsqu’il s’inscrit dans un idéal partagé alors que s’il est opportuniste, il peut exacerber les contradictions au sein des Etat et émietter encore les perspectives du vivre ensemble. Attention aux circonstances et aux fins de son utilisation. L’Afrique et le monde de 2010 ne sont pas ceux d’il y a dix encore moins cinquante ans. C’est dire que les mêmes recettes politiques ne peuvent convenir car les réalités diffèrent sans oublier les aspirations des peuples en perpétuelle évolution dont il appartient à l’Homme politique de cerner les contours pour tracer des caps dans lesquels se reconnaîtront les citoyens. Faisant référence à la Guinée et la Côte d’Ivoire, faire appel à cette forme de nationalisme traduisant plutôt le repli sur soi qu’autre chose, est à mon sens vraiment destructeur et renvoie un signal contraire à l’évolution du monde qui malgré tout est de plus en plus ouvert. L’Afrique du 21 eme siècle ne pourra, ni ne devra épouser toutes les évolutions du monde. Mais de là, à se replier sur soi, à toujours trouver le diable chez l’autre relève du non sens. Entre ces deux attitudes, il existe un espace où la raison pourrait aider à construire pour soi et le collectif. Pour faire simple, il est vraiment temps de s’occuper des vrais débats de nos sociétés bousculées par l’évolution du monde à l’image d’ailleurs des autres.


Qu’ils sont nombreux les enjeux qui devraient cristalliser nos énergies pour bâtir une nouvelle Afrique où chacun de nous pourrait réaliser ses ambitions et rêves. Oui le concept de souveraineté peut faire l’objet de discussions, heureusement d’ailleurs, mais je le placerais plutôt dans l’engagement des Etats à renforcer leurs capacités institutionnelles à produire du bien être collectif pour leurs citoyens. Là se trouve le vrai débat sur cette question. Ne nous trompons pas de combat, la vraie souveraineté, celle qui permet aux Etats de s’affirmer et d’être reconnus demeure aujourd’hui concentrée dans leurs capacités de productions au sens large du terme pouvant leur conférer un statut à l’échelle internationale. N’est ce pas là tout le débat de la réforme de la gouvernance mondiale pour une meilleure prise en compte du poids des pays émergents ? La souveraineté ne pourrait être figée, et ne saurait être réduite à sa dimension politique, certes importante mais dont l’exercice dans la pratique requiert d’autres éléments tels la puissance économique. Remettons ce concept en perspective et plaçons-le dans une optique de production de bien être collectif pour les populations africaines. Il serait plus judicieux de concentrer nos énergies autour de ce noble objectif car il sera difficile de mobiliser durablement une jeunesse aspirant à un emploi, à vivre dignement demain par des slogans nationalistes en l’absence de véritables politiques publiques et qui plus est, traduisant le repli sur soi alors que l’évolution du monde est autre chose.

L’Afrique de demain se fera avec un esprit d’ouverture et non de repli, cela reste indispensable dans un monde de plus en plus interdépendant, certes il y a des menaces mais existent aussi des opportunités, caractéristiques de tout processus d’évolution sociétale. Il nous appartient de travailler sur ces évolutions, de cerner les dynamiques internes pour mieux construire des destinées collectives porteuses de bonheur et de prospérité pour tous. C’est n’est surement pas en fuyant nos responsabilités et en niant les réalités que nous y parviendrons mais bien évidemment avec courage et lucidité. Il n’y a rien de pire que de se tromper de combat. En regardant ce qui passe en Côte d’Ivoire et ce qui s’est passé en Guinée, on mesure à quel point le chemin de la démocratie est encore long et périlleux, que seule la mobilisation des peuples peut faire triompher vraiment. « L’Afrique n’a pas besoin d’Hommes forts, mais d’institutions fortes », cet extrait du discours d’Obama à Accra est plus que d’actualité sur le continent. Il est aussi temps de relire la charte de kouroukan fouga pour comprendre que tous les peuples aspirent à l’égalité et à la dignité et que l’organisation démocratique n’est pas forcément extérieure à l’Afrique. Les institutions traduisent avant tout notre volonté commune à vivre ensemble et devront faire place à nos différences respectives toute en les inscrivant dans une perspective d’avenir partagée. Je salue ici l’une des premières étapes clé de retour à l’ordre constitutionnel en Guinée remettant du coup le pays dans une perspective nouvelle. Espérons que la tenue des prochaines échéances législatives et locales et la mise en place progressive des différentes institutions conformément à la nouvelle constitution viendront boucler ce processus pour nous inscrire définitivement dans une nouvelle ère.

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