Le Maillon essentiel, l’Etat


Il y a quelques jours, je parcourais les bonnes feuilles du dernier ouvrage du président Bill Clinton, un vrai plaidoyer pour l’Etat ou du moins de son intervention dans le champ socio-économique. Il est vrai que ce livre tombe à un moment où la campagne fait rage aux Etats-Unis avec l’éternelle  aversion pour cette institution de la part des conservateurs. Voilà une question qui revient depuis quelques siècles. Que de bouquins, de débats sur le rôle et la place de l’Etat dans l’économie. On n’en refera pas la littérature ici, mais je voulais parler de ce qu’on peut appeler aujourd’hui  comme la « mort lente » de cette institution notamment dans nombre de pays Africains. Il s’agit là d’un constat à savoir le haro sur l’Etat, institution pourtant si indispensable dans ces pays tant dans ses fondements que son déploiement au quotidien. Il y a quelques décennies, dans la littérature du développement, une place importante était accordée au secteur privé en justifiant sa capacité à promouvoir le développement des pays. Ce fut un changement de paradigme important qui par ailleurs pourrait se justifier au regard d’expériences d’ailleurs, mais il faut aussi le reconnaître aux piètres résultats d’Etats fortement centralisées. Cette conception a largement inspiré diverses institutions internationales notamment financières dont celles de Brettons Woods à recommander voire imposer dans nombre de cas l’introduction de la logique de gestion privée dans celle publique notamment en termes de règles et procédures. Dans la pratique, cela s’est matérialisé dans la gestion des programmes de développement de diverses  par la création de structures ad hoc  à coté de l’administration publique dont la mission reste aussi de gérer ces initiatives. Tous ces projets ainsi gérés, n’ont certes pas échoué, mais il faut reconnaître que maintes difficultés ont été souvent rencontrées et des échecs enregistrés. Par ailleurs, les gains tant espérés en matière de bonne gouvernance ne furent pas si souvent au rendez vous.

Dans beaucoup de pays, on peut constater une floraison de ces structures parallèles à l’administration publique pour en réalité effectuer les mêmes missions, mais le plus souvent avec des dotations supérieures. Cette situation est loin de faire consensus tant les disparités de traitement restent flagrantes. J’ai eu une discussion assez intéressante là-dessus, on sent un certain malaise des agents publics avec l’institutionnalisation de ces différences de traitement et la création d’une véritable administration publique parallèle. Et quand on voit la situation des services de l’Etat, on peut quand même se poser des questions. Cela pose un vrai problème pour des Etat se plaignant souvent de manque de ressources, d’une mauvaise définition de son périmètre d’action ou encore de la faiblesse de ses capacités institutionnelles. Au-delà de la multiplication de telles structures aux dispositifs de fonctionnement et aux règles et procédures souvent complexes sans oublier l’éternelle question de coordination des interventions, il y a quelque chose de plus grave à noter, c’est le dépérissement de l’esprit du service public. Il n’y a certes pas que l’Etat qui peut en fournir, mais il lui revient cette responsabilité de le garantir et de l’organiser le cas échéant.

 Je reste convaincu que de nos jours encore, l’Etat en Afrique n’est pas un problème en soi, même s’il faut le qualifier tant dans la norme que la pratique. La création de structure parallèles complexifie davantage les dispositifs de conduite des politiques publiques, met souvent en concurrence l’administration, concurrence d’ailleurs déloyale, au regard des ressources affectées. La multiplication de ses structures ad hoc n’est pas forcément synonyme de bonne gestion, comme le laisserait croire tant d’argument développés. Des exemples allant dans ce sens font légion. Comment expliquer que les mêmes agents produisent des « résultats » différents si ce n’est les cadres et les ressources mises à disposition ? Pour ce qui des cadres, il est souvent dit que les procédures publiques restent lourdes, mais qui peut prétendre que des mutations au sein des administrations publiques ne sont pas en cours ? Certes, elles peuvent être lentes, dues à la mission assignée, mais des évolutions peuvent être constatées ça et là, sans tomber dans l’angélisme. Croire que la logique de gestion privée répondrait à toutes les interrogations sur la problématique de la performance de l’Etat, reste du ressort idéologique. L’exemple des PPP montre que cette collaboration est possible, même si partout, les recommandations portent sur la clarification de la gouvernance et le rôle combien de fois important de la collectivité publique, en l’occurrence ici l’Etat.

 Il toujours bon de rappeler que l’Etat n’est pas simplement cette institution qui par le biais des prélèvements obligatoires gère nos affaires collectives, c’est aussi et avant tout l’expression de notre volonté de vivre ensemble sur un espace donné. A travers ses missions, règles et procédures, il traduit notre capacité à se forger une destinée, à faire émerger des préférences collectives. Continuer de façon dogmatique à « casser de l’Etat » revient à remettre en cause cette idée haute que dans toute société, nul individuellement ne peut satisfaire ses besoins et qu’au-delà des ceux matériels d’autres sont aussi essentiels.  Cela ne remet nullement en cause la nécessité de le qualifier en permanence au service du citoyen par la redéfinition de ses missions et ses logiques de déploiement, la modernisation de son appareil exécutant notamment en le dotant de ressources suffisantes (humaines, financières, techniques, …). Dire ceci n’est pas antinomique à cette nécessité de croire aux individus et groupes en leurs capacités à s’assumer. Aujourd’hui, il est simple de constater que malgré tant d’investissements dans bon nombre de pays, partout ou l’Etat a failli, les résultats n’ont pas été au rendez vous. Et, historiquement, aucun pays ne s’est développé sans un Etat qualifié par moment de fort ou stratège.  En tant qu’institution,  il demeure le socle minimum de tout projet de développement et voilà par exemple toute l’importance d’en « construire » un qui est à la hauteur en Guinée. Dans ce cheminement là, il ne s’agit pas simplement de qualifier la mécanique administrative, mais de travailler à l’émergence d’une idée haute de cette institution, dans laquelle chaque citoyen se reconnaîtrait à travers ses différentes formes de déploiement. Le vrai challenge en Afrique reste le renforcement des capacités institutionnelles des Etats, ce travail sera certes long, mais indispensable pour poser les jalons d’un projet de société cohérent et inspirant le citoyen.

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