Chronique d’une élection annoncée : Mon choix reste l’UEMOA



La Guinée est toujours engagée dans la construction de la seconde Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO), décision prise le 20 avril 2000 à Accra avec le Nigéria, le Ghana, le Libéria, la Sierra Léone et la Gambie. Après de moult négociations et reports, 2020 est actée pour l’effectivité du projet. Le débat sur l’intégration africaine est toujours vif entre les partisans d’une fédéralisation à l’échelle continentale et ceux de l’approche gradualiste prônant le renforcement des zones économiques régionales. Dans un contexte de mondialisation, où de grands ensembles se forment, l’Afrique a plus que besoin d’une meilleure intégration, le tout reste de savoir comment et à quelle échelle. L’intégration économique et monétaire reste une phase très avancée avec notamment la mise en circulation d’une monnaie commune entre pays signataires. Il s’agit avant tout d’un choix politique, lourd, très sensible tant l’élément concerné, en l’occurrence la monnaie, reste une variable clé des systèmes économiques et sociaux modernes. Pour la ZMAO, 2020 reste une hypothèse haute au regard de la situation économique et politique des Etats, des lenteurs dans le respect des critères de convergence et des difficultés pratiques dans la cession de cet instrument de souveraineté.  Cette dimension politique renvoie aux différentes stratégies des Etats ; au partage du pouvoir, des bénéfices et des coûts dans la gestion de la monnaie commune. Dans de telles négociations, comme sur d’autres, les faits conduisent souvent à un accord sur les principes, mais le diable est souvent dans les détails dans un contexte de mondialisation où enjeux et les préférences des économies évoluent parfois très vite. Il y a là une adaptation continue des choix politiques. 

Rappelons qu’il s’agit de la monnaie, élément de souveraineté et de pouvoir, réserve de valeur et de confiance, instrument d’arbitrage, baromètre d’analyse et de compréhension des dynamiques économiques. Elle est au cœur des systèmes économiques et sociaux. . C’est  pourquoi elle est maniée avec prudence voire précaution. Souvenons-nous de la période inflationniste en Allemagne d’avant la seconde guerre mondiale, les politiques de dévaluation d’après-guerre, de la guerre actuelle des taux de change, la période inflationniste en Guinée d’avant 2007 et les révoltes sociales ou encore des débats dans la zone euro… Voilà pourquoi choisir une monnaie n’est jamais anodin. La Guinée, pour des raisons historiques et des choix assumés, a opté pour une monnaie nationale, il y a plus de cinq décennies. Que de débats, de discours, de controverses de nos jours encore sur ce choix historique mais surtout de la question du son maintien à long terme dans un contexte de globalisation des économies. Ce dernier point d’ailleurs a été tranché avec l’option d’aller vers la ZMAO. D’ailleurs comment cette décision a-t-elle été prise ? Il s’agit quand même d’une partie de la souveraineté nationale. L’effectivité de la ZMAO en 2020 est loin d’être gagnée malgré la mobilisation de multiples acteurs. Le problème, ce n’est pas de vouloir céder la monnaie, c’est d’en avoir les capacités politiques et économiques à assumer ce choix au regard des contraintes internes et externes des économies. La politique monétaire reste un instrument au service du pouvoir politique en attestent tous les débats sur l’indépendance des banques centrales. 

Dans ce contexte d’incertitude sur la ZMAO, la prudence devrait rester de la part des autorités guinéennes. Elle est noble l’ambition pourvu qu’on ait les moyens et qu’elle nous garantisse dans le temps nos intérêts stratégiques, politiques et économiques. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’aller vers la ZMAO n’a pas été objet d’un véritable débat en Guinée. Les échanges sont restés entre experts et monde avisé, par maque surement de volonté politique, d’institutions crédibles, de mobilisation citoyenne et de propositions alternatives. Cela illustre parfaitement la pauvreté du débat sur nos politiques publiques débouchant sur une remise en cause sans cesse de notre système de gouvernance. Que gagnerait la Guinée en ayant une monnaie commune avec la Nigéria, le Ghana, la Sierra Léone et la Gambie ? Cela augmenterait-il nos exportations ? Cela renforcerait-il notre leadership ? Les flux économiques, commerciaux, financiers avec ces pays seraient-ils plus importants que ceux avec l’Union Economique Ouest Africaine (UEMOA) ? Voilà autant de questions et sans nul doute d’autres qui méritent débat. Pour ma part, l’adhésion directe à l’UEMOA reste une alternative crédible. D’ailleurs l’objectif de la CEDEAO, c’est d’arriver à une monnaie unique, mais au vue des difficultés sur la construction de la ZMAO, le timing sera forcément décalé. Raison pour laquelle, il est temps de rouvrir ce débat pour que le maximum de contributions puisse s’exprimer en posant clairement les avantages et les coûts de l’adhésion à chaque zone monétaire. Avant toute décision politique, ce travail technique et scientifique avec l’apport de diverses disciplines est nécessaire pour que les savants éclairent les princes. Posons ainsi dans un débat sérieux les arguments y compris de ceux qui militeraient pour le maintien d’une la monnaie nationale.  

Quant à l’UEMOA, nous faisons frontières avec 4 pays dont les deux plus importantes économies avec plus de 50 millions d’habitants concentrant l’essentiel de la diaspora guinéenne. A vol d’oiseau, le Burkina Faso n’est pas non plus loin. Ce sont là autant de débouchés pour l’économie guinéenne déjà fortement dépendante des échanges avec ces pays. Une monnaie commune dans cet espace catalyserait forcément les échanges et augmenterait les flux économiques, financiers et commerciaux de la diaspora vers la Guinée en éliminant les coûts de change et d’opportunités. Ce processus d’intégration est par ailleurs plus aisé en l’état, à l’échelle d’un espace continu, favorisant par exemple la réalisation de projets structurants tels que les infrastructures pour ouvrir le pays tout en bénéficiant de mécanismes de solidarité en termes de projets de développement par exemple. Nous avons là des opportunités qu’une langue et des pratiques administratives partagées pourraient aider à valoriser tout en minimisant les coûts, à condition que la volonté politique soit réelle. Quant à la future ZMAO, il est évident qu’avec le poids du Nigéria, la politique monétaire serait cohérente à ses besoins, structurellement très différents de ceux de la guinée. Pourquoi cette économie ultra dominante partagerait-elle sa monnaie avec d’autres beaucoup plus faibles ? Pourquoi l’option UEMOA n’a pas été officiellement posée par la Guinée ? Est-ce la Guinée qui ne veut pas de l’UEMOA ou le contraire ? Toutes ces questions méritent d’être débattues sereinement car il y va de la vie de nos concitoyens pour des décennies.  Qu’en pensent nos amis juristes, historiens, sociologues, chefs d’entreprises ? Et qu’en est-il de nos partis politiques à l’orée de 2015 ?  

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