Libéralisme économique et Développement : Que nous apprend l’histoire ?

Libéral voilà un mot qui fait peur, inspire méfiance tant dans les pays développés que ceux en développement et ceci, chez les politiques et au sein d’une frange importante de la société. Et, quand on l’associe à l’économie, ce sentiment de méfiance grandit davantage en témoigne tout le débat de la dernière campagne électorale française. Restons sur le plan économique et commercial dans cette synthèse pour comprendre cet état d’esprit. Depuis l’apparition de l’économie politique avec Adam Smith en 1776, que de théories économiques pour dire en gros, échanger tout ira bien en terme de création de richesses et ce, au bénéfice de tous. Bref, le commerce adoucit les mœurs. C’est le tout le potulat de base de la théorie libre échangiste considérée comme optimum de premier rang en matière commerciale. La libéralisation forte des échanges intervenue aux lendemains de la seconde Guerre Mondiale avec le GATT et aujourd’hui l’OMC montre que l’ouverture économique sous conditions est porteuse d’effets bénéfiques mais peut aussi engendrer des effets pervers dû au contournement des règles et à la faiblesse des structures de régulation. Le libéralisme économique tel qu’enseigné aurait dû créer un sentiment d’espoir mais force est de reconnaître qu’il est actuellement, plus associé à de l’insécurité économique et sociale pour bon nombre de citoyens et de pays. Jamais autant de richesses ne furent créées dans le monde mais paradoxalement accompagnée de plus de pauvres, de laisser pour compte et de frustrés. Comment expliquer que depuis le sommet de l’OMC de Seattle de 1999 à chaque fois que nous avons des rencontres du genre, mais aussi du FMI, de la Banque Mondiale, le G8 ou le celle de Davos, qu’il y ait autant de manifestations, le plus souvent violentes par des groupes de citoyens qui se considèrent comme étant toujours, la variable d’ajustement du système économique et commercial. Est ce un hasard, si tout ce qui symbolise la puissance économique et financière est suspecté de nos jours ? Pour mieux comprendre cette situation, on passera en revue les stratégies de développement des pays industrialisés, on s’arrêtera sur les différents rôles de la puissance publique, tout ceci précédé par une revue de littérature sur les théories économiques mettant un bémol sur la nécessité impérieuse des économies à s’ouvrir.

Faisant son chemin, la théorie du libre échange avec Smith et Ricardo comme facteur de développement des économies fut très tôt mise en brèche par un certain nombre d’économistes dont Frederick List. Pour ce dernier et ce, dès 1848, il y a nécessité de protection des industries naissantes par l’intervention publique pour mieux les préparer à l’ouverture donc à la concurrence. La mise en place de ces mécanismes de protection étant indispensable à la création d’une base industrielle solide, facteur de création et de transformation des richesses. En plus de cette théorie qui tempère la nécessité d’ouverture des économies pour accroitre la richesse produite, le théorème de Stolper-Samuelson nous indique qu’à l’ouverture ne saurait ce que temporairement des pertes considérables peuvent être enregistrées par les secteurs concernés en terme d’emploi et par ricochet en de revenus. Il y a en clair des gagnants et des perdants dans le processus de l’interdépendance économique, en témoigne la répartition des richesses et la non prise en compte des coûts d’ajustement dans nombre de cas dans la mondialisation actuelle. Ces coûts d’ajustement qu’impose l’ouverture à la concurrence devraient être pris en compte par des politiques publiques, chose rare faut le reconnaître dans les PVD, faute de ressources mais aussi à cause des rapports de force qui leur sont le plus souvent défavorables dans les mécanismes de négociation des plans d’ouverture. De nos jours encore des économistes dont Stglitz, Dani Rodrik… et Raul Prébish appellent à un dépassement du fameux consenus de Washington qui, repose sur cette volonté d’ouvrir les économies, pour aller vers celui de Sao Polo pour mieux tenir compte des exigences des PVD dans le contexte politco-économique actuel. Ce nouveau paradigme repose en gros sur la réintroduction de l’Etat en tant qu’acteur majeur du développement par la prise en charge de la conception et de la mise en œuvre des stratégies dans cet objectif, une ouverture sélective à la concurrence internationale par le recours ne serait-ce que temporaire à des mécanismes de protection pour bâtir un ensemble productif viable. Ajouter à cela la différenciation des politiques de développement pour mieux intégrer les réalités endogènes des structures productives des économies, l’uniformisation ayant déjà produit ses limites il n’y a qu’à voir les résultats des PAS en Afrique.

Après cet examen théorique rapide, on va s’intéresser aux stratégies de développement appliquées dans les puissances économiques actuelles. Une analyse profonde montre que le libéralisme économique tel qu’il a été enseigné et continue de l’être dans nombre de lieux a été de loin, la principale recette de leur réussite économique. C’est d’ailleurs tout le contraire. Leurs trajectoires de développement montrent qu’ils n’ont jamais utilisé ce qu’ils prêchent pour les PVD, à stade de développement égal notamment en matière de politique industrielle et commerciale. Au début de leur industrialisation, ces pays ont utilisé nombre de mesures protectionnistes et interventionnistes pour promouvoir leur système industriel naissant. Si le Royaume-Uni par exemple a été le premier à défendre stratégiquement ses industries, pour Paul Bairoch (1993), les Etats-Unis, c’est la terre mère et le bastion du protectionnisme moderne. Constat valable pour la France avec le Colbertisme mais aussi le Japon avec le protectionnisme de ses industries lourdes… L’exemple de la PAC en Europe est édifiant , les subventions cotonières aux Etats-Unis faisant perdre d’énormes ressources financières à des pays comme le Mali, le Benin et le Burkina Faso et ce, malgré des efforts inédéniables de modernisation dans le secteur…en est un autre. Aujourd’hui, pour venter les bienfaits de l’ouverture économique, l’exemple Asiatique est le plus souvent cité. Certes l’ouverture de ces pays a conduit à un afflux massif de capitaux étrangers, favoriser le brassage humain, mais ce que l’on oublie souvent de mentionner, c’est que les marchés ont toujours agi de concert avec la puissance publique, qui en réalité leur a fourni un cadre propice d’intervention tenant compte des spécificités locales mais aussi en les régulant. Cela est important, car le plus souvent le libéralisme économique est associé et ce à tord à moins d’Etat.

Rappelons nous de l’affaire Arcelor-Mittal, l’imbroglio Suez-Gaz de France, le sauvetage de Alsthom où on a mis en avant le patriotisme économique ou le renouveau du Colbertisme. Quel est l’objectif du Small Busness Act au Etats-Unis si ce n’est du protectionnisme déguisé ? Qu’inspire le fait que 70% des revenus des agriculteurs Français soient issus de fonds publics sans oublier leur frilosité face à la possible révision de la PAC en 2013 ? Des exemples de ce genre font légion, juste pour montrer que l’ouverture économique est toujours mieux pour les autres. Bref, tant que l’on tire des bénéfices, les choses vont bien et le jour où l’on commence à subir les pertes, on commence à s’interroger sur la pertinence du modèle économique actuel, en témoigne tout le débat sur les délocalisations en France et l’émergence des pays comme la Chine. C’est maintenant que l’on se rend compte que ce pays ne joue pas le jeu, même si de toute façon les règles du jeu du commerce international n’ont jamais été respectées. Les puissances économiques « traditionnelles » insistent et poussent même à l’ouverture des autres économies, c’est tout le débat de l’ouverture du secteur des services dans les PVD à l’OMC où indéniablement elles ont des avantages comparatifs sans oublier leur réticences à ouvrir par exemple leur secteur agricole où là, c’est l’inverse en terme de gains à l’ouverture. Telle est la triste réalité du système économique et commercial mondial où des pays font des efforts indéniables en terme d’ouverture et de modernisation, mais qui, en retour ont des gains largement en déçà des espérances….Et pourtant, le plus souvent calculés théoriquement par la mise à l’épreuve de modèles économétriques ayant justifié la nécessité d’ouverture.


« …la vérité, c’est que la mondialisation exige un Etat fort, une cohésion sociale et teritoirale forte, un identité collective forte. Si nous voulons être forts dans la mondialisation, nous ne devons renoncer à tout cela…Je ne suis pas venu vous dire que l’Etat n’a pas d’autre avenir que de s’occuper de la police, de la justice, de la diplomatie de la défense en regardant passivement le marché s’occuper du reste. Cela n’existe nulle part au monde. Aller voir aux Etats-Unis, Allez voir au Japon, allez voir en Chine et en Corée du Sud…Y aurait il donc une exception Française ou Européenne à ce que l’Etat ne puisse plus rien alors qu’il peut partout ailleurs… » [Nicolas Sarkozy, discours sur la Mondialisation à Nîmes, le 9/11/2006]. A lire ce passage du candidat d’alors et aujourd’hui président, que l’on qualifie de plus libéral ( sens français du terme) en France, quelques reflexions s’imposent. Soit la théorie libérale sur le plan économique n’est pas une solution optimale face aux réaités actuelles des pays, soit il y a une certaine manipulation ou les deux à la fois tant la doctrine libérale sous toutes ces facettes est décalée de ces affirmations.[ http://www.fahayek.org/]. Cela nous permet de passer à l’analyse de la corrélation entre l’intervention de l’Etat et l’efficacité d’un système économique libéral.

D’entrée de jeu, la théorie nous enseigne qu’un système économique de marché pour être efficace requiert une intervention de l’Etat et ce, au moins pour trois raisons. La première, c’est la fourniture des biens publics recouvrant l’ensemble des infrastructures de base permettant l’installation et le développement d’unités de production. Indispensables dans tout système économique qui se veut viable. Pour des raisons de coûts et d’amortissement, leur mise en place appelle à l’Etat soit seul ou s’engageant dans des partenariats public-privé. Ces infrastructures (routes, eau, énergie, téléphone…) sont un facteur de réduction des coûts des entrepreneurs et de compétitivité des territoires. Aujourd’hui, l’on glisse plus vers la notion de service public, plus compliquée que celle des bien publics pour expliquer le dynamisme et la compétitivité des territoires. Sans un Etat efficace cela est impossible. Deuxième raison, l’efficacité des marchés requiert un cadre institutionnalisé stable où la sécurité des personnes et de leurs biens est assurée, où les fonctions régaliennes primaires sont assurées. A cela, on pourrait ajouter les autres fonctions régaliennes telles la mise en place d’un système éducatif performant pour pourvoir le marché en main d’œuvre qualifiée. Prenons l’exemple français, quand on voit de nos jours, l’effort de l’Etat pour loger, employer les citoyens mais aussi aider les entreprises et ce par des dispositifs larges allant même à créer des droits opposables et ce, pour corriger les inégalités et mieux repartir les richesses, on se demande dès fois où s’arrêtent les fonctions régaliennes….Et pourtant nous sommes dans une économie de marché. La troisième raison, c’est que les marchés pour être efficaces ont besoin d’instances de régulation pour éviter les abus des positions des acteurs mais aussi faire face aux coûts et avantages sociaux et environnementaux induits par leurs activités. Même dans les pays industrialisés où les structures politico-économiques sont « matures », des exemples de ces dernières années dans les télécommunications, l’énergie, la grande distribution…montrent à suffisance la pertinence de tels dispositifs. D’où toute leur importance dans un PVD, où les structures politico administratives restent embryonnaires. La concurrence ne peut être bénéfique à l’ensemble des acteurs que dans un cadre régulé. Faire croire que le libéralisme économique, pour être efficace devrait être accompagné d’une moindre intervention de l’Etat est une erreur. Empiriquement, des secteurs économiques entiers sortent de plus en plus de la concurrence, c’est le cas en général des industries de réseaux (télécommunication, infrastructures de transports, énergie…) où l’Etat reste le maitre du jeu, à cela il faut ajouter les industries dites stratégiques (Pharmacie, Militaire, Aéronautique…). D’où une certaine réduction du champ d’application effective des lois du marché. Tous ces exemples montrent que la main invisible de Smith n’est pas trop d’actualité et même quand on fait des efforts pour libéraliser et privatiser des pans entiers de l’activité économique, on se rend compte que sans les structures de régulation fournies par la puissance publique les effets escomptés de peuvent être atteints.

Après cet examen rapide d’un sujet aussi complexe que l’analyse de ce qu’est Libréralisme Economique de nos jours, il y a certainement une nécessité d’approfondissement pour une meilleure compréhension. Retenons simplement que le libre-échange cristalisé de nos jours dans la mondialisation ne constitue pas la panacée pour l’ensemble des économies. Cela ne veut pas dire qu’il faille revenir sur le procesus de la mondialisation, chose d’ailleurs impossible car des exemples précis ont montré que l’ouverture économique sous certaines conditions peut améliorer la création des richesses et contribuer à la réduction de la pauvreté en témoigne la dynamique économique dans certains pays de l’Asie mais aussi en Amérique Latine voire même le Maghreb. Cette vision est aussi illustrée par le passage de la notion « anti-mondialisation » vers celle d’« alter-mondialisation » où la nécessité de la régulation du processus est pronée. Comme le dit Stiglitz, la mondialisation en tant que telle n’est pas le problème, c’est la façon dont elle est gérée notamment au niveau global qui l’est. Cette gestion est fortement remise en cause par une faiblesse des mécanismes de redistribution et de régulation tant au niveau global qu’à l’échelle des Etats sans oublier les incohérences dans nombre de cas entre la poursuite du libre-échange et l’atteinte d’objectifs globaux comme la protection de l’environnement et la promotion du bien être individuel et collectif. Il y a lieu de reconnaître aujourd’hui que l’ouverture économique a été l’option la moins utilisée dans l’histoire des pays développés. Cette vision encore présente est largement corroborée par l’appel au patriotisme économique en France, à la préférence communautaire eu Europe, au Small Business Act aux Etats-Unis sans oublier la relance de la dynamique économique dans ces pays mais aussi dans ceux émergents par des poliques interventionnistes.

Ces exemples devraient faire réflechir l’ensemble des acteurs économiques et politiques à l’échelle globale sur les voies et moyens d’aider les PVD notamment l’Afrique pour sortir de la pauvreté. Aujourd’hui, et on ne le dira jamais assez, il y a nécessité de renouvellement du logiciel de fonctionnement du sytème économique et commercial international pour faire de l’interdépendance économique un facteur de paix et de prospérité au bénéfice de tous. Certes des efforts ont été faits pour tenir compte des spécificités des PVD en témoigne les mécanismes de traitement différenciers au sein du GATT et de nos jours à l’OMC mais encore, les résultats sont largement insuffisants. D’où tout l’intérêt de revoir les doctrines économiques qui fondent l’ouverture économique en tenant notamment un certain langage de vérité sur les différentes options pour les pays sans oublier la révision des mécanismes de négociations des accords commerciaux à la fois bi et multilatéraux. Une fois de plus la mondialisation, processus irreversible a besoin d’instances de régulation forte d’où une iméprieuse réformes des institutions économiques internationales pour mieux tenir compte des équilibres politico-économiques actuels qui ne sont plus ceux de l’après Guerre. En plus de cela, le bon sens de nos jour devrait guider les politiques à savoir que les deux extrêmes en terme d’organisation politico économique ne sont plus aptes aux réalités actuelles à savoir une économie completement dirigée à la soviétique ou celle Thatchérienne où les intérêts privés font la loi. Il devrait appartenir à chaque économie en fonction de ses réalités locales et de son niveau de développement de déterminer par exemple jusqu’où et comment l’Etat devrait intervenir.

Au regard des exemples historiques et même actuels avec la performance des pays Nordiques (Suède, Finlande, Norvège…), on a droit de dire de nos jours que la concurrence comme base de fonctionnement de l’économie ne devrait être considérée comme une fin en soi . Si non comment expliquer que Sarkozy ministre des finances d’alors et président aujourd’hui se soit battu pour sauver Alsthom pour maintenir une activité économique donc des emplois. Si non comment expliquer le rejet de la Traité Européen en France en 2005 qui considérait la concurrence comme un objectif et non un moyen au service d’autre chose ? si non comment expliquer encore l’appel à la nécessité de la régulation de la mondialisation financière de Sarkozy et Merkel après la crise de l’immobilier aux Etats-Unis ? De nos jours, le bon sens voudrait que l’on accepte en fin que la concurrence un des principes de base du libéralisme économique ne soit qu’un moyen et non une finalité. La retouche du traité Européen par le président « libéral » Français par la prise en compte de cette dimension donne raison à tous ceux qui pensent que l’économie devrait être mise au service de l’Homme et de son environnement. Comme le disait Keynes, à long terme nous serons tous morts mais lui est encore toujours vivant.

Commentaires

Anonyme a dit…
ce que je cherchais, merci

Posts les plus consultés de ce blog

L’électricité, un bien toujours rare en Guinée

Conakry, Capitale Mondiale du livre en 2017 : la mobilisation ne fait que commencer

« En Guinée, la décentralisation a buté sur sa forte politisation »