Encore le FMI à la manœuvre

Elle se faisait de plus en plus persistante venant même de la voix du ministre de l’économie à la fin de l’année 2007, la Guinée ne peut plus continuer à subventionner les prix du carburant car cela coûte au budget national près de 80 milliards gnf par an. Il y a quelques jours le litre d’essence est passé de 4 300 gnf à 7 000 gnf dans un pays où le pouvoir d’achat en moyenne des agents de la fonction publique (classe de référence) a été divisé par quatre en l’espace de quelques années et pour les autres Guinéens, l’inflation jouant ses effets pervers, cela ne fait qu’accentuer les incertitudes dans leur vie au quotidien. C’est un secret de polichinelle de dire que la Guinée est à la recherche de multiples équilibres à la fois économiques, sociaux et politiques car, les images évènements de janvier février 2007 sont encore très fraîches dans la mémoire collective. La situation est tellement fragile qu’en l’espace de quelques mois, on a frôlé à maintes reprises la rupture du consensus très précaire établi à la sortie de cette crise sans précédent. Revenons sur la question du carburant, rappelons simplement que la situation précaire des Guinéens en dépit d’immenses ressources a été le principal élément déclencheur de ces évènements. Sur le plan économique, après de maintes négociations la Guinée est arrivée a conclure un programme cadre avec le Fonds Monétaire International (FMI), un appui budgétaire conditionné par la mise en place de réformes conjoncturelles et structurelles pour redynamiser l’activité économique.

Le cas du prix du carburant en Guinée est intimement lié aux interventions du FMI ces dernières années. Pour cette organisation, les subventions publiques constituent une distorsion au marché d’où la nécessité d’en faire de moins en moins recours, principe de base dans son action. « l’essence est passée de 1 500 à 2 500 francs le litre en 2004, puis de 2 500 à 3 800 francs le litre en 2005, et en fin de 3 800 5 500 francs le litre en 2006 entre autres suites aux pressions du FMI sur le gouvernement pour qu’il arrête de subventionner le prix de l’essence. Les coûts de transport ont été évidemment affectés par cette augmentation, de même que les prix des biens transportés de la capitale vers l’intérieur et vice versa. Entre 2004 et 2007, le sac de 50 kg de riz est passé de 35 000 francs à 120 000 en moyenne. Comme les salaires n’ont pas augmenté durant cette période, ceux qui vivaient directement ou indirectement d’un emploi salarié on vu leur pouvoir d’achat divisé par quatre en trois ans ». [Mike MacGovern (2007), « Janvier 2007- Sékou Touré est mort » Politique Africaine, n° 107, p.144]. Il est clair que la décision de supprimer les subventions sur les prix du carburant relève plutôt des pressions du FMI et de l’idéologie libérale pour peu que l’on connaisse cette organisation et ses principes d’intervention. Qu’ils ont été très nombreux ses échecs dans le redressement des économies depuis une vingtaine d’années même si cela n’exclut en rien le besoin de reformes profondes de la gouvernance politique et économique de notre économie.

Aujourd’hui, nul doute que le FMI est devenu le « référent » des institutions internationales de développement dans les Pays en développement. Signer un document cadre avec cette organisation ouvre la voie à de nombreuses interventions financière car, source de crédibilité. Raison pour laquelle la Guinée se félicite encore de l’adoption de sa stratégie par son conseil d’administration en décembre, chose compréhensible même si l’on ne partage pas tout du mécanisme institutionnel dans les interventions des partenaires bi et multilatéraux de développement. Il est indéniable pour la Guinée de s’inscrire dans de véritables réformes pour créer davantage de richesses et les mettre au service des populations par le biais de la redistribution, mais de là à accepter toute conditionnalité conduirait à la catastrophe. Le cas du carburant en est un exemple frappant, si les coûts des subventions publiques sont clairement connus, il en est de loin de ceux de l’abandon de cette mesure. Cette mesure de supprimer ces subventions est elle économiquement, socialement et politiquement justifiée ? Est-il aujourd’hui opportun d’y renoncer ? Ma réponse est non. Il est clair que le FMI n’est pas une organisation penchante pour les mécanismes de subventions publiques et ce indépendamment des objectifs poursuivis. Subventionner dans une économie de marché selon la conception du FMI empêcherait la manifestation du vrai prix. Cette considération théorique est loin de faire consensus actuellement tant la dépense publique joue un rôle fondamental dans la relance et le maintien de l’activité économique pour un certain équilibre sociopolitique.

Financièrement, subventionner le carburant coûte au budget national mais les coûts économiques sont beaucoup plus importants en renonçant à cet appui budgétaire avec une augmentation indéniable des coûts de production. Simplement avec le transport, on a une pression supplémentaire importante à la baisse du pouvoir d’achat et la répercussion indéniable sera une flambée des prix des denrées de première nécessité dans un contexte déjà très tendu. Socialement et politiquement cette mesure est difficile à faire admettre car le Guinéen verra sans nul doute un retour à la case départ avec une dégradation de plus en plus de ses conditions de vie. Certes les marges de manœuvre du gouvernement étaient faibles par rapport notamment au FMI sur ce sujet mais deux solutions existaient quand même, faire des économies sur d’autres postes budgétaires ou tout simplement étaler sur plusieurs postes et dans le temps le coût budgétaire de ces subventions. Il est clair que les experts du FMI sont moins réceptifs à ces volontés mais il aurait bien fallu les convaincre car la survie de l’équilibre fragile actuel peut en dépendre. Il n’ y a pas que l’efficacité économique comme critère de choix politique, celle sociale est aussi importante dans pays comme le nôtre. Vouloir exiger le respect du prix dans le cas du pétrole donc à la fin des subventions est quelque part vide de sens parce que tout simplement le prix pétrole en lui-même est biaisé. Le prix d’un baril de pétrole est loin de résulter de la loi de l’offre et de la demande, des facteurs politiques, psychologiques entrent en jeu et de façon substantielle.

Avec simplement l’augmentation des prix du carburant, les anticipations positives sur l’avenir de la Guinée de plusieurs de nos citoyens peuvent s’envoler et ainsi conforter tous ceux qui pensent à tord ou à raison que rien n’a changé en Guinée. Et pourtant qu’ils sont lourds le sacrifices consentis en témoignent les évènements de janvier février 2007. La décision politique devrait s’efforcer de tenir compte de cet aspect de la vie des individus, la psychologie est un élément très important de l’économie. Il n’y a qu’à voir le fonctionnement des marchés financiers, l’intérêt pour la communication politique, l’importance des sondages dans les pays démocratiques. Aujourd’hui et comme toujours d’ailleurs, si le désordre politico économique a des coûts qui peuvent être énormes, l’ordre aussi en exige. La paix sociale, déterminant important de l’exercice des activités économiques engendre des coûts qu’il faudrait bien à un moment donné supporter et non se laisser emporter par la théorie de l’efficacité des marchés et son corollaire de juste prix. Le libéralisme économique a certes des bases communes pour l’ensemble des pays, mais il est important d’avoir une application différenciée dans le temps et l’espace pour mieux tenir compte des réalités politiques et socioéconomiques des entités concernées. L’un des échecs patents des stratégies et politiques de développement, c’est d’avoir cru à l’efficacité des modèles théoriques établis en tout lieu et tout temps et le FMI singulièrement devrait plutôt tenir compte de cet aspect dans sa quête d’une certaine légitimité de nos jours ou tout simplement revenir à sa mission d’origine à savoir la surveillance du système monétaire international afin de prévenir les crises. Voilà quelques unes des raisons qui auraient dû convaincre le FMI et conforter davantage le gouvernement Guinéen même si je reconnais volontiers que la conjoncture pétrolière ne soit pas un élément favorable avec un baril à plus de 100$ US.

Cette organisation aurait dû revoir depuis quelques décennies son paradigme d’intervention au niveau des économies en difficulté. Comment expliquer à ces pays de laisser jouer les mécanismes du marché alors que le libéralisme économique tel qu’enseigné a été de loin la recette première des pays développés et même ceux émergents ? Comment convaincre de la nécessité d’augmenter les prix du carburant à des populations victimes de la hausse généralisée des prix des denrées de première nécessité ? Deux questions importantes dans ce débat qui méritent vraiment réflexion pour aider chacun de nous à comprendre les enjeux qui entourent nos choix collectifs. L’une des façons de remédier à cette incohérence notoire demeure la diffusion du savoir et Internet constitue un coutil formidable à cet effet. Beaucoup de choses se disent sur nos politiques publiques, vraies et fausses, mais en réalité peu d’entre nous comprennent les enjeux y afférents. Raison pour laquelle, il est temps de devenir force d’explication et de proposition pour éclairer davantage la prise de décision collective et les populations supportant in fine ses conséquences. Voilà tout l’intérêt de faire de la diffusion de la connaissance le credo de notre action pour permettre à chacun d’accroître ses capacités individuelles, de saisir sa chance dans un monde global et d’affronter aussi les défis majeurs que pose cette interdépendance économique.

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