Le paradoxe des pays pétroliers d’Afrique

Dans cette conjoncture économique où le baril de pétrole oscille autour des 90$, qu’ils sont nombreux articles de journaux ou de revues spécialisées traitant de la question de l’impact de ce « troisième choc pétrolier » pour beaucoup sur l’ensemble des économies. Aujourd’hui force est de constater que les pays consommateurs voient leur facteur énergétique flambée mensuellement avec toutes les conséquences socioéconomiques possibles. Traditionnellement, avec une telle conjoncture on a tendance à croire que les pays producteurs sortent largement gagnants car, engrangeant d’énormes ressources financières mais une analyse approfondie permet de relativiser ce point de vue en prenant notamment le cas spécifique des pays pétroliers d’Afrique. L’Afrique est devenue le lieu où les réserves pétrolières sont régulièrement mises à jour, « des rives des Grands Lacs à la Rift Valley, de Madagascar à la Namibie, de l’off-shore Gambien à la bande d’Aouzou, le dernier continent exploré vit au rythme des découvertes réelles ou fantasmées de brut- et à celui, inquiétant, des conflits territoriaux ou maritimes attisés par la fièvre de l’ « oil boom » : Darfour, Bakassi, Mbanié, Lac Albert… et le pétrole coule aujourd’hui là où il y a quelques décennies, il était impossible de croire à un tel destin. L’autre conséquence est sans nul doute une compétition entre différents Etats (Etats-Unis, Chine, Europe, Inde) au chevet de leurs majors dans le contrôle et l’exploitation des desdites réserves dans un monde où l’énergie devient de plus en plus stratégique. Ce qui m’a frappé en lisant l’enquête « Pétrole : A qui profite la hausse ? » de JA, n° 2248, du 09 au 15 décembre 07, c’est cet espèce de paradoxe des pays pétroliers Africains où contrairement à ce que l’on pourrait croire l’embellie qu’engendre des cours élevés de pétroles est loin d’être constatée dans la quotidien des populations payant encore cher le carburant.

Certes il n’est un secret pour personne qu’une conjoncture de ce genre est possibilité d’aubaine pour les finances publiques de ces pays, mais la contre partie est généralement une augmentation de l’inflation par deux canaux à savoir l’importation accrue des biens de consommation y compris le carburant et intrants des rares industries qu y existent, c’est le phénomène de l’inflation importé. A cela, il faut ajouter la redistribution de l’argent du pétrole qui engendre généralement une augmentation de la masse monétaire. Cette inflation comme on le sait érode le pouvoir d’achat des ménages et qui en plus ne constatent que rarement la baisse des prix des carburants sur le marché national parce que tout simplement dans nombre de pays les capacités de raffinages font défaut et les pays optent plus pour l’exportation pour des besoins de devises au lieu d’alléger la facture des ménages domestiques. Ce manque de vision est présent aujourd’hui au Nigeria où près de 70% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, le Gabon, le Congo, l’Angola…pays où les populations subissent de plein fouet la hausse du pétrole au même titre que les pays non producteurs ou pis encore parce qu’elles vivent sur les gisements de cette matière.

Cette situation est aussi due à un autre facteur lié à la structure de la production qui généralement est partagée entre l’Etat à travers une société nationale et une multinationale ou un consortium de multinationales. Généralement ces multinationales détiennent des parts importantes et quand il y a des magots à partager comme en ce moment, elles préfèrent plutôt enrichir leurs actionnaires que de réduire les coûts de la vie des populations locales. A titre d’exemple, une compagnie comme Total Gabon, dont le bénéfice a atteint 326,4 millions de dollars en 2006 a décidé l’an dernier de redistribuer 202,5 millions de dollars à ses actionnaires. Un magot à partager entre le groupe Français (58% des parts), l’Etat Gabonais (25%) et quelques opérateurs privés détenant 17% du capital. A l’automobiliste de Libreville ou de Pointe Noir, il a beau vivre dans un pays pétrolier, il ne paiera pas l’essence moins cher pour autant. Si les majors empochent l’essentiel des bénéfices réalisés sur les exportations, les consommateurs doivent payer les intermédiaires- importateurs- raffineurs- distributeurs- qui, eux, facturent le super ou le gasoil au prix fort. A qui profite donc la hausse ? En tout cas pas aux Africains. A cela il faut ajouter la gestion opaque des ressources pétrolières, une gestion qui a toujours été source d’enrichissement des élites dirigeantes en place au détriment d’une grande majorité des populations vivant dans le dénuement le plus complet. Le pétrole rime souvent pour les uns avec argent et pouvoir et pour les autres pauvreté et désespoir.

C’est dire que la conjoncture actuelle est loin de satisfaire l’Africain moyen à plus forte raison celui pauvre tant dans les pays consommateurs que producteurs et le chemin qui reste pour faire du pétrole ainsi que les ressources naturelles en général un facteur de paix et de réduction de la pauvreté est long et périlleux. Dans nombre de pays, les populations ont le sentiment que l’entrée de leurs pays dans le club des producteurs de pétrole est plutôt synonyme de désespoir, il n’ y a qu’à voir l’exemple Tchadien qui, quelques années encore faisait office de modèle. Dans ce pays, le fonds pour les générations futures (initiative première dans ce domaine), quid devait assurer les investissements pérennes dans les secteurs prioritaires (éducation, santé…) a été sacrifié aux impératifs de sécurité, les autorités doivent démontrer que le pétrole n’y sera pas ce qu’il a été ailleurs à savoir une malédiction. L’Etat Tchadien n’a jamais encaissé autant d’argent s’élevant à 757 millions de dollars en 2007 au titre des redevances pétrolières et impôts et taxes mais paradoxalement jamais les Tchadiens ne sont sentis si pauvres et des laissés pour compte. Cette situation désespérante illustre bien le paradoxe où les Etats engrangent d’énormes bénéfices mais le plus souvent largement inférieurs à ceux des multinationales alors que les populations végètent dans l’extrême pauvreté, c’est le cas aussi au Soudan, au Congo, au Nigeria. On ne le dira jamais assez, le développement est avant tout une question d’Homme. Rappelons tout simplement pour terminer qu’en matière de développement, il ne s’agit pas seulement de financement, d’autosuffisance alimentaire ou de transferts de technologies. Il s’agit de l’Homme dans toutes ses capacités d’imagination, de créativité, de choix, de décision et de responsabilité au sein de son environnement. En réalité il s’agit de la promotion humaine et sociale.

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