Vaincre la faim ou lutter contre le changement climatique ?


A priori deux objectifs conciliables et non concurrentiels, mais en réalité non, les choses depuis quelques années semblent être beaucoup plus complexes. Lutter contre le changement climatique dont les effets se manifestent de plus en plus demeure une priorité internationale ne serait ce que dans le discours tant les enjeux sont importants à la fois socio-économiques mais aussi politiques. Atteindre cet objectif passera forcément par une limitation du rejet des gaz à effet de serre produits essentiellement par la consommation des énergies fossiles, pétrole et charbon entête de course. Ce constat a engagé nombre de pays à diversifier leurs sources d’énergie en s’orientant vers les énergies renouvelables (solaire, éolien…) mais aussi un utilisant les produits agricoles d’où le non agrocarburants. Depuis quelques années on observe une flambée des prix des produits agricoles (blé, maïs, soja…) désormais servant à produire des carburant pour rouler afin d’alléger individuellement ainsi que collectivement la facture pétrolière. Cette hausse plus que brutale de ces produits alimentaires est essentiellement due à la demande en forte augmentation venue de l’Asie et de l’Amérique latine mais aussi de celle des agrocarburants dans une conjoncture où le baril de pétrole oscille autour des 90$ rendant du coup ces carburants de substitution très compétitifs. Des pays comme le Brésil en ont fait une de leurs spécialisations notamment au niveau du bioéthanol, leur production est encouragée par des subventions aux Etats-Unis, en Europe…et on voit leur adoption dans certains pays d’Afrique subissant de plein fouet la hausse du baril de pétrole. Le constat qui se dégage est que si les agrocarburants en particulier permettent de réduire la facture pétrole donc la dépendance face à ce produit, leur développement engendre des effets pervers dans nombre de pays notamment ceux les plus « pauvres », importateurs de céréales pour leur alimentation.

L’actualité Africaine à travers ces derniers mois montre les effets néfastes d’une telle conjoncture, plusieurs pays (Guinée, Sénégal, Maroc, RDC, Mauritanie…) ont connu et connaissent encore des troubles sociaux et politiques dû à une explosion du coût de la vie essentiellement engendrée par la hausse des prix des denrées de première nécessité (Céréales, carburant…) voyant ainsi leur stabilité politique se fragiliser davantage. Par exemple, en Guinée, « l’essence est passée de 1 500 à 2 500 francs le litre en 2004, puis de 2 500 à 3 800 francs le litre en 2005, et en fin de 3 800 5 500 francs le litre en 2006 entre autres suites aux pressions du FMI sur le gouvernement pour qu’il arrête de subventionner le prix de l’essence. Les coûts de transport ont été évidemment affectés par cette augmentation, de même que les prix des biens transportés de la capitale vers l’intérieur et vice versa. Entre 2004 et 2007, le sac de 50 kg de riz est passé de 35 000 francs à 120 000 en moyenne. Comme les salaires n’ont pas augmenté durant cette période, ceux qui vivaient directement ou indirectement d’un emploi salarié ont vu leur pouvoir d’achat divisé par quatre en trois ans ». [Mike MacGovern (2007), « Janvier 2007- Sékou Touré est mort » Politique Africaine, n° 107, p.144]. Aujourd’hui force est de reconnaître que de millions de personnes se trouvent être à rationaliser leur alimentation et toutes les conséquences sociales imaginables avec une aggravation de leur déficit nutritionnel. Plus généralement le développement des agrocarburants pose le problème de la concurrence des terres entre les produits agricoles destinés à l’alimentation et ceux à la production des carburants.

Si l’engagement dans la filière des agrocarburants est un facteur d’augmentation des revenus des agriculteurs (du moins pour le moment), il peut déstabiliser le système agricole, raréfier l’offre des céréales et finir par mettre en péril la satisfaction des besoins alimentaires des pays les plus « pauvres », importateurs dans l’ensemble de denrées alimentaires. Ce qui repose une fois de plus la question de la sécurité alimentaire dans ces zones où la pression démographique s’accentuera durant des années encore. Aujourd’hui au nom de l’impératif écologique, beaucoup militent pour un développement des agrocarburants avec pour raisons entre autres la réduction de la dépendance pétrolière et la limitation des rejets de gaz à effet de serre, possibilité d’installation dans les PVD d’unités industrielles, augmentation des revenus des agriculteurs…mais faut il rappeler de nos jours encore plus de 850 millions de personnes en moyenne ne mangent pas à leur faim et 200 millions d’entre elles dépendent directement de l’aide alimentaire. Cette vision aujourd’hui est comparable au passage dans plusieurs pays notamment Africains d’une agriculture vivrière à celle de rente qui devrait permettre d’augmenter les revenus des agriculteurs, mais cela fut un échec incontestable. Il n’y a qu’à voir l’Afrique Subsaharienne où le mot agriculture est devenu synonyme de pauvreté, de dénuement, d’exode en fin de compte et même ceux qui continuent encore dans ce type d’agriculture, leur situation reste précaire car subissant de plein fouet la concurrence déloyale des pays développés notamment (voir le coton par exemple). La seule différence entre les deux périodes, c’est que la population à nourrir s’est fortement accrue, ce qui pose le problème encore de plus en plus aigu de comment nourrir tout ce monde. Je comprend aisément le paysan Mexicain qui vend son maïs aux Etats-Unis, l’agriculteur Africain serait tenté de faire autant pour augmenter ses revenus, problématique réelle dans le monde paysan mais jusqu’en pourrait elle durer cette situation, l’on ne saurait le prédire. Mais en revanche on s’accorde aujourd’hui à reconnaître que la tendance haussière des prix des céréales quant à elle durera quelques années encore voire une dizaine [OCDE-2007, rapport intitulé : les agrocarburants : le remède est t-il pire que le mal ?].

N’oublions pas aussi que même si de telles filières se développaient dans les PVD, ils auront du mal sur les marchés mondiaux car en concurrence essentiellement avec l’Europe et les Etats-Unis subventionnant fortement les produits agricoles servant aux agrocarburants. C’est dire que nous ne serions pas encore sortis de l’impasse et il est important de rappeler que ce n’est pas le consommateur du pays en développement qui est la seule victime de cette situation, dans les pays développés, on se rend compte aussi que « tout augmente » en terme de produits issus des céréales et cela induit une augmentation du coût de la vie. Aux Etats-Unis par exemple, plus de 20% de la production du maïs est destinée à la fabrication de l’éthanol, le débat nourriture contre carburant fait rage [Courrier International, n° 888, du 8 au 14 novembre 07]. Personne ne peut aujourd’hui remettre en cause l’importance de l’augmentation des revenus des agriculteurs dans les PVD dans une optique de réduction de la pauvreté car, ce secteur employant près de 60% des actifs, mais de là croire que l’engagement dans la filière aura une incidence forte sur le développement du secteur, est une erreur. Beaucoup d’incertitudes demeurent encore quant à l’impact des agrocarburants sur le développement du secteur agricole sans oublier l’effet sur le partage des ressources en eau.

Personnellement, je partage l’idée qu’il y a plus de risques à craindre en prenant l’économie dans son ensemble que de gains à attendre de ce type de changement pour les pays les plus « pauvres ». L’engouement suscité par ces agrocarburants doit être tempéré pour la simple raison que l’histoire a montré que tant qu’on est dépendant alimentairement, il est difficile voire illusoire de parler de développement. Développer l’agriculture pour satisfaire leurs besoins doit rester une des priorités des PVD notamment ceux d’Afrique pour que l’on cesse de poser la question à savoir produire pour se nourrir ou rouler, illustrant parfaitement dès fois l’antagonisme des objectifs internationaux. En poussant loin le raisonnement, nous serions tentés de dire qu’il est inadmissible que le continent Africain par exemple subisse de telles conséquences au nom de la lutte contre le changement climatique. Certes la dimension collective est primordiale dans ce domaine, mais en vertu du principe des « responsabilités communes mais différenciés » important dans la gestion de l’environnement global, les pays occidentaux devraient supporter une large partie du fardeau de la hausse du prix des céréales. Mais hélas, les choses ne sont pas si simples que cela et les structures politico-économiques font que les chocs les plus violents sont souvent supportés par ceux qui vivent dans des situations déjà très précaires généralement dépourvus de moyens de réaction adéquats. En fin, réfléchissons sur cette mise en garde de la FAO dans son rapport 2007 « La conjugaison de la flambée des prix agricoles et de celle du fret, liée à la hausse des cours du pétrole va se traduire sur les marchés mondiaux par une augmentation des coûts des céréales importées, une perspective particulièrement préoccupante pour les PVD, qui consacreront probablement 52 milliards de dollars aux importations de céréales en 2007- 2008, un chiffre record qui marque une hausse de 10% par rapport à 2006- 2007. Pour les 82 pays à faible revenu et à déficit vivrier, la facture céréalière devrait atteindre 28 milliards de dollars (+ 14 %). Si les pays producteurs décident de restreindre leurs exportations pour faire baisser chez eux les prix de l’alimentation, les cours mondiaux vont encore augmenter. Résultat : Les pays pauvres réduiront leurs importations- et leur consommation alimentaire ».

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